La Belgique en AOÛT 1914
Eté 1914 – de Sarajevo à l’attaque brusquée de Liège.
99 ans après la bataille de Waterloo de 1815, la Belgique redevient le champ de bataille de l’Europe !
La crise couvait depuis le 28 juin 1914 avec l’assassinat à Sarajevo du duc François-Ferdinand, l’héritier présomptif de l’empereur d’Autriche-Hongrie.
Comme, début juillet, le Kaiser est parti en croisière sur la Baltique, les événements ne s’accélérèrent que fin juillet et le jeu des alliances va étendre le conflit. Le 28 juillet, la Serbie et l’Autriche-Hongrie sont en guerre. Le 30 juillet, la Russie, alliée de la Serbie, mobilise. L’Allemagne fait de même le 1er août et déclare la guerre à la Russie.
La France, alliée à la Russie, décrète aussi la mobilisation générale le 1er août. La Belgique, par précaution, a procédé à une mobilisation partielle dès le 28 juillet et est contrainte de passer à la mobilisation générale le 1er août.
Dans les états-majors, nul n’ignore le plan allemand : se défaire au plus vite de l’allié français de la Russie pour se retourner ensuite vers celle-ci, jugée moins apte à mobiliser et concentrer ses forces rapidement. Pour mettre la France à genoux au plus vite, l’Allemagne envisage depuis plus de dix ans de passer par deux pays neutres : la Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg.
Vu la disproportion des forces, l’Allemagne espère que la Belgique ne s’opposera pas au passage de ses forces. Un ultimatum en ce sens est adressé au gouvernement belge le 2 août au soir. Il est repoussé dès le lendemain matin et le 4 août 1914, vers 8 heures du matin, les premières troupes allemandes pénètrent dans la province de Liège.
L’attaque brusquée de Liège, du 4 août au 16 août 1914.
La mobilisation et la concentration aux frontières des armées allemandes et françaises allaient nécessiter une quinzaine de jours mais l’Allemagne éprouvait néanmoins le besoin impérieux de se saisir au plus vite de la Position Fortifiée de Liège afin que le siège de la ville ne retarde en rien sa marche vers la France. De plus, le nœud de communications ferroviaires et routières que constituait Liège était vital pour le ravitaillement de ses Armées.
Mais en envahissant la Belgique, l’Allemagne endosse aussi la responsabilité du conflit !
Dès le 4 août, six brigades allemandes, appuyées par de la cavalerie et de l’artillerie lourde (soit environ 40.000 hommes), pénètrent en province de Liège. Le plan allemand est de s’infiltrer dans les intervalles entre les forts pour se rendre maître de la ville. Or, ces intervalles sont défendus, sur décision personnelle du Roi Albert 1er, par toute la 3e Division d’Armée belge alors que les plans d’avant-guerre n’envisageaient d’y consacrer que quelques régiments d’infanterie de forteresse. La garnison de la place est dès lors de près de 40.000 hommes alors qu’initialement elle n’aurait dû être que d’une quinzaine de milliers d’hommes.
L’assaut allemand a lieu dans la nuit du 5 au 6 août et cinq des six brigades allemandes sont amenées à se replier au matin du 6 août Malheureusement, les troupes d’intervalle belges ont aussi été malmenées et pour beaucoup, se sont également repliées. Une brigade allemande a franchi le périmètre de défense belge et dès le lendemain, le 7 août, elle va pénétrer en ville où elle va s’emparer des gares et des ponts soit d’objectifs essentiels aux approvisionnements des Ière et IIe Armées allemandes dans leur avance vers la France.
Le général Leman, commandant militaire de la Position Fortifiée de Liège va repousser les offres de reddition allemandes et poursuivre la lutte à outrance avec la seule garnison des forts. En effet, après le repli des troupes d’intervalle au matin du 6 août, il les a jugées trop éprouvées pour les relancer au combat et a ordonné à la 3e Division d’Armée ainsi qu’à la 15e Brigade mixte (détachée de la 4e D.A.) de rejoindre l’armée de campagne regroupée, en moyenne Belgique, sur la Gette.
La situation reste confuse pour l’agresseur allemand qui n’a pas réellement conscience du succès de son attaque brusquée vu que la résistance des forts continue. L’Allemagne va dès lors réunir une armée de siège bien plus conséquente qu’initialement car elle va atteindre près de 150.000 hommes. Cette force reçoit en outre l’appui des plus puissantes pièces d’artillerie de siège de l’époque : les deux uniques exemplaires d’un obusier de 42 cm, apte au transport routier et au tir, à une portée maximale de 9.300 mètres, d’un obus de 796 kilos. Ces pièces seront connues sous le sobriquet de « Gross Bertha ».
Ce sont pourtant d’autres pièces d’artillerie qui seront prédominantes pour la réduction des forts : les obusiers de 21 cm. Ces pièces auraient tiré près de 7.000 obus de 120 kilos chacun sur les forts liégeois.
Car l’envahisseur ne risque plus son infanterie mais écrase les forts sous les obus. Progressivement, les forts sont contraints à la reddition. Les obusiers de 42 cm, mis en batterie le 12 août au soir, contre le fort de Pontisse, ont eu raison de ce fort dès le lendemain à 11 h 30. Ils sont remis en batterie contre le fort de Loncin le 15 août. Vers 17 h 20, un obus de 796 kilos transperce la voute en béton d’une des deux poudrières du fort de Loncin. Douze tonnes de poudre noire explosent, tuant sur le coup une centaine de défenseurs du fort et ouvrant un cratère de plus de 50 mètres de diamètre toujours visible de nos jours.
C’en est fini de la résistance des forts de Liège. Loncin est tombé d’une manière qui pour l’époque a dû paraître apocalyptique ! Menacés de subir le même sort, les deux derniers forts de la Position Fortifiée de Liège qui ne sont pas encore aux mains des Allemands, Flémalle et Hollogne, se rendent dans la matinée du 16 août 1914.
L’attaque brusquée de Liège a malheureusement été accompagnée des premières « atrocités » commises par les troupes allemandes contre des civils. Douze cents civils seront en effet tués en province de Liège au cours du mois d’août 1914.
La bataille de Haelen et le repli de l’armée belge sur Anvers.
Le délai d’une quinzaine de jours nécessaire à la mobilisation et à la concentration des armées françaises et allemandes fait que le gros des opérations n’était pas vraiment planifié avant le 20 août. L’Allemagne comme la France mobilisent en effet près de quatre millions d’hommes chacune. Ces deux belligérants forment des armées de campagne totalisant près de deux millions d’hommes et nécessitant la réquisition de centaines de milliers de chevaux. Forcément, cela ne se fait pas en un jour !
La puissante cavalerie allemande entama cependant des reconnaissances en force, sur la rive droite de la Meuse, dès le 8 août 1914. Le 12 août 1914, le IIe Corps de Cavalerie allemande (2e et 4e Divisions de Cavalerie) va se heurter aux troupes belges à Haelen (aujourd’hui Halen à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Tirlemont).
L’impatience allemande à se répandre en Moyenne-Belgique fera que des escadrons de cavalerie allemands se risqueront à charger. Huit charges successives, d’éléments de quatre régiments distincts, seront repoussées par le feu des fusils à répétition, des mitrailleuses et des canons à tir rapide. Face à la puissance de feu moderne, la charge de cavalerie n’avait plus de raison d’être !
Cette victoire belge permit de retarder de quelques jours l’invasion de la Hesbaye. Mais la Position Fortifiée de Liège étant entièrement aux mains des Allemands au matin du 16 août et cette date coïncidant presque parfaitement avec l’achèvement de la concentration des Ière et IIe Armées allemandes, dès le lendemain 17 août 1914, ces deux Armées, fortes chacune de plus de 250.000 hommes peuvent s’avancer vers l’armée de campagne belge réunie sur la Gette. L’armée de campagne belge étant réduite à moins de 100.000 hommes, sans aide extérieure, elle n’était pas en mesure de s’opposer, avec une chance raisonnable de succès, aux envahisseurs et le Roi Albert 1er décida du repli de l’armée de campagne sur le Réduit National d’Anvers.
Certaines troupes belges seront assez violemment accrochées au cours de leur retraite à Hautem-Sainte-Marguerite, Grimde et Aerschot mais ne seront pas poursuivies.
Le 20 août, les troupes allemandes pénètrent à Bruxelles, finalement déclarée « ville ouverte ».
L’étau se resserre sur Namur…
En aval de Namur, la 9e Division de Cavalerie allemande a franchi la Meuse le 14 août 1914, à Hermalle-sous-Huy.
Le 15 août 1914, un premier accrochage sérieux a eu lieu, à Dinant, entre troupes françaises et allemandes. Les Français, après avoir été quelque peu malmenés, reprennent la rive droite de Dinant où la population les acclame. Cette ferveur populaire sera la source d’une atroce tragédie huit jours plus tard.
Leur concentration aux frontières achevée, les principaux belligérants sont en passe d’entamer le gros de leurs opérations. Les Ière et IIe Armées allemandes passent la Meuse en aval de Namur pour se tourner ensuite vers la Sambre. La IIIe Armée allemande doit passer la Meuse aux environs de Dinant. Deux autres armées allemandes, les IVe et Ve, progressent dans les Ardennes belges et le Grand-Duché du Luxembourg pour déboucher sur la Meuse française.
En face, le Corps Expéditionnaire Britannique, réduit à quatre divisions d’infanterie et une de cavalerie, se rassemble vers Maubeuge. La 5e Armée française se déploie dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Escomptant le front allemand trop étendu pour être sérieusement étoffé, le général Joffre, généralissime français, envisage de pousser ses 4e et 3e Armées dans les Ardennes belges pour couper en deux et désorganiser le front allemand. Malheureusement, l’Allemagne a décidé d’engager directement ses divisions de réserve en première ligne, ce qui lui donnera une certaine supériorité numérique en ce début du conflit.
Le 18 août, le général von Bülow, commandant de la IIe Armée allemande, se voyait confier l’organisation de la prise de la Position Fortifiée de Namur. Au soir du 18 août, les troupes allemandes qui remontaient la Meuse sur ses deux rives, se heurtaient à la 8e brigade mixte belge, à Seilles, en face d’Andenne. Les troupes belges décrochaient dans la nuit du 18 au 19 août, en faisant sauter le tunnel ferroviaire de Seilles et le pont d’Andenne.
Le 19 août, von Bülow chargeait le général von Gallwitz, ancien inspecteur général de l’artillerie allemande, de la direction effective des opérations contre Namur. Deux Corps d’Armée passent sous son commandement : le Corps de réserve de la Garde (composé de la 1ère Division de Réserve de la Garde et de la 3e Division de la Garde) et le XIe Corps d’Armée (composé des 22e et 38e Divisions d’Infanterie). De nombreuses unités d’artillerie sont également mises à sa disposition : des canons de 105 et 135 mm, 40 obusiers de 210 mm, 8 mortiers de 305 mm autrichiens et la batterie des 2 obusiers Krupp, type M, de 420 mm. Le général von Gallwitz disposait ainsi de près de 90.000 hommes et de plus de 400 pièces d’artillerie. Face à lui, à Namur, la 4e Division d’Armée belge, commandée par le général Michel et la garnison des neuf forts Brialmont de la PFN.
Rappelons que l’artillerie à action lointaine de ces forts est constituée de canons de 120 et 150 mm et d’obusiers de 210 mm dont la portée est insuffisante pour contrebattre les plus grosses pièces ennemies.
A Andenne, en amont du pont détruit, les Allemands ont entrepris la construction d’un pont provisoire. Des incidents vont survenir avec des civils dès que le franchissement de la Meuse aura été rétabli et en deux jours, les 20 et 21 août, 43 habitants de Seilles et 223 d’Andenne vont être tués par la soldatesque allemande.
Entre-temps, l’armée d’invasion du général von Gallwitz était arrivée à portée de canon de Namur et les ouvrages les plus en amont furent pris à partie par l’artillerie de campagne dès le 20 août.
L’artillerie lourde (obusiers de 210, de 305 et de 420 mm) ne devait intervenir qu’à partir du 21 août ; leur mise en batterie demandant plus d’efforts (acheminement des pièces en plusieurs fardeaux, terrassements, assemblage des pièces et de leur plate-forme de tir, acheminement des lourdes munitions – 120 kg pour l’obus de 210, 380 kg pour celui de 305 et 796 kg pour le projectile des 420).
L’artillerie allemande allait se déchaîner toute la journée du 21 août sur les forts de Maizeret, Andoy et Marchovelette. Sur la journée, des milliers de projectiles de tous calibres dont, selon l’historique des régiments concernés, près d’un millier d’obus de 210 mm, tant sur les forts que sur leurs intervalles. L’intensité du bombardement provoqua quelques flottements, assez compréhensibles, dans la défense belge.
A Marchovelette, plusieurs coupoles ayant été mises hors d’usage et les installations sérieusement dégradées par cette avalanche d’obus dont plusieurs de 305 mm et de 420 mm, une partie de la garnison, considérablement ébranlée nerveusement, prendra la fuite.
Le commandement de la Position Fortifiée de Namur, une fois averti, y envoya des volontaires pour remplacer les soldats défaillants et le fort poursuivit la lutte avec ses rares organes de défense toujours en état (une coupole de 120 et deux de 57 mm).
Le 22 août 1914, la journée la plus meurtrière pour l’armée française.
Sur la Sambre, la 5e Armée du général Lanrezac est au contact de la IIe Armée du général von Bülow depuis la veille. Français et Allemands se sont disputés les ponts sur la Sambre pendant toute la journée. Les troupes allemandes sont parvenues à se créer quelques têtes de pont. Le 22 août, des régiments entiers de l’infanterie française sont lancés à la contre-attaque sans le moindre souci des pertes. C’est une hécatombe !
Un malheur ne survenant jamais seul, ce 22 août 1914, d’autres troupes françaises, poussées de manière quelque peu aventureuse dans les Ardennes, se retrouvent au contact des Allemands. Quinze batailles sanglantes se dérouleront au cours de cette journée, opposant des unités des 3e et 4e Armées françaises à celles des IVe et Ve Armées allemandes. Ce sont des batailles « de rencontre », presque inopinées, qui font se heurter les Français, bien souvent en colonnes de marche, aux Allemands qui ont eu le temps de se mettre en position défensive. Les pertes (tués, blessés, prisonniers ou disparus) sont énormes : Maissin, 5.400 hommes ; Anloy, 5.000 ; Bertrix, 6.200 ; Nevraumont, 1.600 ; Neufchâteau, 4.350 ; Rossignol, 15.400 ; Bellefontaine, 3.200 ; Virton ; 6.800 ; Ethe, 7.900 ; Baranzy, 5.700 ; Romain, 2.000 ; Cutry, 4.700 ; Doncourt, 3.450 ; Ville-au-Montois, 7.300 et enfin Mercy-le-Haut, 2.000 hommes. Français et Allemands !
Les Français, adeptes inconscients de la charge à la baïonnette, ont subi les plus lourdes pertes : 52.000 hommes contre 29.000 Allemands. Rien que pour ces quinze rencontres, la France comptabilise 17.000 tués et l’Allemagne 9.000. En ajoutant, les pertes subies sur la Sambre et en Lorraine, le 22 août 1914 est le jour le plus meurtrier de toute l’histoire militaire de la France avec près de 27.000 tués. Des atrocités allemandes ajoutent quelques centaines de civils innocents à ce massacre : 383 à Tamines, sur la Sambre, 49 à Anloy, 13 à Mussy-la-Ville, 20 à Neufchâteau et 63 à Tintigny.
L’étendue du désastre ne sera pas connue immédiatement.
A Namur aussi, la bataille fit rage toute la journée. Au cours de la nuit du 21 au 22 août, l’artillerie allemande avait maintenu sa pression sur le périmètre s’étendant du fort de Cognelée à la Meuse. Parallèlement, l’infanterie allemande avait tenté sans succès plusieurs infiltrations. Au matin du 22 août, vers 6 h, la Position Fortifiée de Namur allait recevoir le renfort de trois bataillons français (II et III/45e et III/148e) envoyé par le général Lanrezac. Le pilonnage de l’artillerie allemande s’était intensifié avec le jour. Les forts d’Andoy et de Maizeret furent pris à partie par les mortiers de 305 et de 420 mm. Maizeret, très endommagé, fut évacué au soir. Andoy, malgré de nombreux dégâts, pouvait toujours riposter avec ses obusiers de 210 mm.
En rive gauche de la Meuse, entre Cognelée et le fleuve, von Gallwitz risquait son infanterie afin de conquérir de meilleurs observatoires pour son artillerie lourde.
D’ailleurs, au nord-ouest de l’intervalle, vers 13 h, le fort de Cognelée commença à être soumis au feu des mortiers de 305 mm.
Avec l’appui massif de son artillerie, l’infanterie allemande parvenait toujours plus à refouler la défense belge entre les forts de Cognelée et Marchovelette. Une contre-attaque sera lancée, en direction de Wartet, par deux bataillons belges épaulés d’un bataillon français en vue de refouler l’artillerie lourde allemande. L’attaque ne put déboucher, brisée par l’artillerie de campagne et les trop nombreuses mitrailleuses allemandes. Comme partout ailleurs, la situation tournait à l’avantage de l’Allemagne.
Le 23 août 1914, journée décisive du début de la Première Guerre mondiale !
L’information circule lentement en 1914 par rapport aux standards actuels. En outre, la presse est censurée, ce qui empêche que la réalité se fasse jour immédiatement. Le revers français de la veille est sérieux mais pourtant le Grand Quartier Général français envisage de relancer ses troupes à l’attaque. Mais, sur le terrain, les troupes doivent se réorganiser et un repli tactique s’impose.
Entre-temps, l’armée de siège de von Gallwitz s’est décidée à l’assaut de Namur. La situation de la Position Fortifiée de Namur était devenue critique la veille au soir où le dernier bataillon de la réserve générale avait dû être engagé. Près de trois divisions allemandes, soit environ 40.000 hommes, appuyés par 300 pièces d’artillerie, sont massés sur un front de 4 kilomètres entre le fort de Cognelée et la route de Hannut. Les troupes d’intervalle franco-belges sont réduites à environ 8.000 hommes suite aux pertes des jours précédents. La violence du bombardement d’artillerie allemand empêchait toute riposte des troupes alliées. Aucun renfort n’étant à espérer, le commandement donna l’ordre de repli. C’était déjà trop tard car cet ordre n’allait pas parvenir à toutes les unités et certaines allaient tout simplement être submergées.
Le général Michel, commandant de la 4e Division d’Armée défendant Namur, souhaitait maintenir une tête de pont sur Namur mais la rapidité de l’avance allemande va l’en empêcher. Vers 11 h, le fort de Cognelée doit déposer les armes. Vers 13 h 40, suite à l’explosion d’un obus de gros calibre dans une de ses galeries, le fort de Marchovelette a été mis hors de combat. L’engouffrement des troupes allemandes dans la brèche ouverte dans le périmètre défensif de la Position Fortifiée de Namur fait que les défenseurs adjacents risquent d’être pris à revers et décrochent. Dans l’après-midi du 23 août, c’est le sauve-qui-peut !
Sauve-qui-peut bientôt général ! L’étau se resserre dramatiquement d’ailleurs. Le VIIe Corps de réserve allemand apparaît entre Namur et Gembloux et les Allemands ont refoulé les Français de la Sambre. La IIIe Armée allemande commence à franchir la Meuse en amont de Namur, menaçant la Position Fortifiée et une bonne partie de la 5e Armée française d’encerclement. Vers 17 h, le général Michel décida du repli de toute la 4e Division d’Armée belge. Le général Lanrezac venait de décider de même pour la 5e Armée française.
La retraite nocturne s’avérait pénible. Pas de répit pour les troupes exténuées. L’ennemi s’avançait partout, risquant à tout moment d’empêcher le repli. Des accrochages, parfois même très violents, avaient lieu. Les Allemands arrivaient à Saint-Gérard et étaient signalés à Rouillon, puis vers 11 heures du soir, à Yvoir, Houx et Dinant. La situation était extraordinairement confuse car la 5e Armée française se repliait également. Exemple de cette confusion : alors que le centre de Namur est traversée par les troupes allemandes depuis plusieurs heures, vers 18 h 30, des obus allemands sont encore tirés par erreur sur la ville, tuant une vingtaine de civils et une dizaine de soldats allemands.
« Enfin, l’armée anglaise avait brillamment soutenu le choc de l’armée de von Kluck à Mons, Jemappes et Saint-Ghislain mais dans la soirée du 23, entraînée par la retraite générale, elle se repliait également vers le Sud. » (op. cit. page 121 du Tome III – Les opérations militaires – de l’ouvrage collectif en quatre volumes – La Belgique et la guerre, édité par Henri Bertels à Bruxelles en 1926)
Au soir du 23 août 1914, on peut dire que les velléités offensives franco-britanniques sont brisées.
Mais la journée se termine dans l’horreur à Dinant où s’est déroulée la pire atrocité allemande de ce mois d’août 1914 avec 674 civils tués et 1.100 bâtiments incendiés.
24 août 1914, retraite générale et Namur isolé…
Dans la nuit du 23 au 24 août, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, seul un espace de 7 km de large séparait les IIe et IIIe Armées allemandes et allait permettre l’exfiltration des troupes franco-belges se retirant de Namur.
Les troupes en retraite se disputaient les routes. Le général Michel, chef de la 4e D.A. belge, arrivait, le 24 août à 1 h du matin, à Rosée où il trouvait l’état-major du 1er Corps d’Armée français (de la 5e Armée de Lanrezac). Celui-ci se repliait sur Agimont, Vodelée et Philippeville et se réservait les routes nécessaires. La 4e Division belge dut se contenter de la route de Mariembourg par Franchimont, Villers-en-Fagne et Roly. Le resserrement du dispositif ennemi et la pénurie d’itinéraires libres allaient entraîner la capture de certaines unités. De plus, les troupes harassées sont obligées de poursuivre leur route malgré le manque de repos. Elles seront rassemblées autour de Mariembourg et de Couvin, au soir du 24 août.
Un peu à l’écart, le siège des forts de la Position Fortifiée de Namur se poursuivait.
En rive droite de la Meuse, les Allemands s’étaient emparés du fort de Maizeret que le 23 août dans l’après-midi alors qu’il avait été évacué la veille au soir après que le tir de plus de 4.000 obus allemands l’ait rendu inutilisable. Un peu plus au sud, le fort d’Andoy avait repoussé, le 23 août au soir, une attaque d’infanterie mais allait succomber le 24 août vers 11 h, les impacts d’obus de mortiers de 210 et 305 mm ayant rendus les derniers locaux intenables. A noter qu’il aurait fait l’objet du tir de 450 coups de 305 mm et d’environ 3.000 autres projectiles dont 1.400 obus de 210 mm ! Encore plus au sud, toujours en rive droite, le fort de Dave était intact. En rive gauche, Cognelée et Marchovelette étaient tombés la veille.
Dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, la défense de Malonne fut moins héroïque. Au soir, du 23 août, alors que le fort avait appris l’évacuation des troupes d’intervalle, la majeure partie de la garnison décida de quitter le fort et de suivre la 4e D.A. en retraite. Environ 70 hommes sont restés mais la majorité fuira encore pendant la nuit. Lors de sa reddition, le fort ne compte plus comme garnison que son commandant, 4 officiers et 9 hommes ! Ils se rendent à la première patrouille allemande qui se présente : 4 hommes menés par le lieutenant von der Linde. Cette reddition peu honorable n’a jamais été pardonnée par le haut commandement belge.
La reddition de l’autre fort de l’Entre-Sambre-et-Meuse, le fort de Saint-Héribert est un peu plus honorable mais semble tenir du service minimum. Le capitaine-commandant Derzelle avait appris au matin, par une patrouille, que la quasi-totalité de la garnison du fort de Malonne l’avait abandonné. Il avait aussi pu constater une sérieuse baisse du moral de ses troupes depuis que le fort devait combattre isolé et par deux fois, il devra empêcher ses hommes de quitter la place. Avec le début du bombardement du fort, entre 15 h 30 et 16 h, le problème est réglé car toute sortie devient impossible. Le fort est bombardé par des obusiers de 150 mm le prenant à revers. Le fossé de gorge est particulièrement touché. La fumée des explosions se répand abondamment dans les locaux, les rendant rapidement intenables. Un projectile fait plusieurs victimes à une coupole de 210 mm dont le soldat Mahy qui, grièvement blessé, succombera à ses blessures, lors de son évacuation après la reddition du fort.
Le médecin Fynant constate bien vite qu’une majorité des hommes sont incommodés par la fumée. A son sens, la garnison n’est plus apte à résister à un assaut et le commandant Derzelle en sera informé. Tenant compte du moral de ses troupes, des risques d’asphyxie et de l’inutilité apparente de poursuivre la lutte, le capitaine-commandant Derzelle rend l’ouvrage vers 19 h 45.
En rive gauche de la Meuse, le fort d’Emines fait l’objet d’un violent bombardement, par des pièces de 210, 305 et même 420 mm, le 24 août à partir de 6 h du matin. Les dégâts occasionnés par ce bombardement rendent rapidement le fort intenable et impuissant. Il se rend à 16 h 30.
Au soir du 24 août 1914, deux forts de la Position Fortifiée de Namur tiennent toujours : les forts de Dave et de Suarlée.
Cependant, au Grand Quartier Général français, le général Joffre a dû se résoudre à l’évidence. Il prévient le gouvernement : « Il faut durer, céder du terrain, manœuvrer plus en arrière. » La 4e Armée française se replie sur la Meuse. La 3e Armée française recule aussi. Les combats de l’armée française deviennent retardateurs et défensifs mais globalement, la tournure des événements a penché en faveur de l’Allemagne.
25 août 1914, fin de la résistance de Namur.
Au matin du 25 août 1914, deux forts namurois tiennent toujours : Dave en rive droite et Suarlée en rive gauche. L’artillerie lourde allemande va s’acharner sur ces deux dernières positions belges.
Dave n’a été bombardé qu’à partir du 24 août vers 14 heures. Les Allemands vont tirer plus de 2.000 obus de 105 et 210 mm et quelques obus de 305 mm avant d’avoir raison du fort. Sérieusement abimé, le fort se rend le 25 août à 15 heures.
Le dernier fort à tomber, celui de Suarlée, aura pourtant été l’un des plus bombardé. Il fait l’objet du tir de 800 obus de 150 et 210 mm le 23 août et de 1.400 le lendemain.
Le 25 août, deux obusiers de 305 mm entrent dans la danse. Malgré ces bombardements, une proposition de reddition est repoussée à 11 h 15. Les deux mortiers de 420 mm sont ensuite mis en batterie contre Suarlée et la galerie centrale sera percée vers 16 heures.
Des hommes, affolés, fuient par la brèche ; d’autres prennent l’initiative de hisser un drapeau blanc mais le commandement le retire. Cependant, les locaux sont véritablement devenus intenables et à 17 heures, le fort cesse le combat. Il aurait fait l’objet du tir de 6.000 obus de tous calibres dont 20 de 420 mm.
Entre-temps, la retraite générale des troupes anglaises, françaises et de la 4e Division d’Armée belge s’était poursuivie. Une marche de 42 kilomètres a mené la 4e D.A. de Mariembourg à Auvillers en France où elle pourra ensuite rejoindre en chemins de fer des ports de Manche français, puis par mer Ostende et enfin Anvers.
« Des 38.000 hommes de la Position Fortifiée de Namur, 16.000 furent ramenés à Anvers, 1.000 (gardes civiques) furent licenciés, 1.000 succombèrent à Namur et pendant la retraite, 3.500 blessés tombèrent aux mains de l’ennemi, 12.000 hommes furent faits prisonniers (environ 6.500 à Namur et 5.500 dans l’Entre-Sambre-et-Meuse) ; enfin, 4.500 autres furent dispersés au cours de la retraite dont 2.000 rejoignirent individuellement Anvers en traversant les lignes ennemies. » (op. cit. page 368 d’un article de R. Boijen, « La bataille de Namur d’après les carnets de guerre du lieutenant-général A. de Selliers de Moranville », dans la revue belge d’histoire militaire – Fascicule XXVI-5 de mars 1986).
La population civile de Namur eut aussi quelques pertes à déplorer car entre les 23 et 25 août, 75 civils vont périr et plus de cent maisons seront incendiées.
La retraite des 5e, 4e et 3e Armées françaises ainsi que du Corps expéditionnaire Britannique se poursuivit jusqu’à la Marne, avec quelques combats retardateurs dont les plus connus sont les batailles de Cateau (26 août) et de Guise (29 août). La bataille décisive suivante sera la bataille de la Marne où, entre les 6 et 9 septembre, 750.000 Allemands affrontent plus d’un million de Franco-Britanniques. Il y aura 550.000 victimes, tués, blessés ou disparus !
Le grand public n’a malheureusement pas encore pris conscience de l’importance des actions militaires, menées en province de Namur, au cours du mois d’août 1914, sur l’issue favorable, pour les Alliés, de la bataille de la Marne. Le ravitaillement des armées de l’époque dépendait presque exclusivement des chemins de fer et la destruction des ponts ferroviaires de Namur, Houx et Anseremme fera que, début septembre 1914, quasi toute la logistique des trois Armées allemandes les plus impliquées dans la bataille de la Marne, devait passer la Meuse, à Liège, par le pont ferroviaire du Val-Benoît qui n’avait malencontreusement pas été détruit.
Que les troupes de Génie franco-belges qui ont contribué à la destruction des ponts ferroviaires de Namur, de Houx et d’Anseremme reçoivent ici notre reconnaissance éternelle !
Articles écrit par Michel André, juillet 2018, merci à lui.
Bibliographie
A ma connaissance, il n’existe toujours pas un ouvrage exhaustif réellement satisfaisant des opérations militaires du mois d’août 1914 sur l’ensemble du front ouest.
Il existe pourtant une étude magistrale sur le plan d’opération allemand : « Le plan Schlieffen – Un mois de guerre – Deux siècles de controverses ». Cet ouvrage, peut-être un peu trop académique, a été écrit par Pierre-Yves Hénin, ancien président de l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne et publié en 2012 par les éditions ECONOMICA. Il ouvre bien des pistes de réflexion.
Enfin, pour mieux comprendre l’importance des chemins de fer dans la logistique des armées de l’époque, je ne peux que conseiller la lecture d’un article de Christophe Bechet, docteur en histoire de l’université de Liège : « Le rôle des chemins de fer. La ligne de chemin de fer Stavelot-Malmedy : construction, inauguration et expérience de guerre ».
Il est disponible en ligne à l’adresse ci-dessous :
https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/173081/1/Bechet_Ligne%20Stavelot-Malmedy.pdf