Mai 1940

Vendredi 10 mai 1940

Il n’y a pas eu de surprise stratégique !

Grâce à notre attaché militaire à Berlin, le colonel Goethals, l’Etat-Major Général de l’Armée (E.M.G.A.) est averti, dès le 9 mai à 20 h 30, que l’offensive allemande est prévue pour le lendemain à l’aube et dès 22 h 30, on sait qu’il n’y aura pas de contrordre !

L’alerte descend progressivement la chaine hiérarchique et le fort de Saint-Héribert la reçoit le vendredi 10 mai 1940, à 1 h 24 du matin.  Dès 2 heures du matin, le fort est en état de combattre et les préparatifs se poursuivront toute la journée (approvisionnement en munitions des coupoles, aménagements divers, pose de mines).  La seule manifestation de l’envahisseur se limite aux nombreux passages d’avions, pris à partie par notre Défense Contre Avions (DCA).

Dès 12 h 30, le fort est informé du passage de troupes françaises dans la vallée de la Meuse et en soirée, il est annoncé qu’un officier de liaison français souhaite prendre contact avec le fort le lendemain.  En soirée également, l’Etat-Major de la Position Fortifiée de Namur laisse savoir que le fort d’Eben-Emael a été attaqué par des troupes aéroportées.

Si le fort de Saint-Héribert n’est pas inquiété le 10 mai, l’offensive allemande n’en est pas moins foudroyante.  Dès l’aube, des troupes aéroportées allemandes sont déposées, par planeurs, sur le fort d’Eben-Emael et à proximité de trois ponts sur le canal Albert (ceux de Vroenhoven, Veldwezelt et Kanne).  En moins d’une demi-heure, par l’emploi de charges creuses, la majeure partie de l’artillerie du fort d’Eben-Emael est neutralisée.  Simultanément, les ponts de Vroenhoven et Veldwezelt sont pris intacts par l’ennemi.

Un important assaut aéroporté allemand a lieu également aux Pays-Bas.  Le plus important mais le moins chanceux vise La Haye.  D’autres visent Moerdijk, Dordrecht et Rotterdam où des ponts stratégiques, sur des bras des estuaires de la Meuse et du Rhin, sont pris intacts.  La route vers Rotterdam est quasi ouverte.  La défense de la Hollande est déjà irrémédiablement compromise.

En fait, en ce matin du 10 mai 1940, deux Groupes d’Armées allemands ont pris l’offensive.  Le Groupe d’Armée B, comptant près de 30 divisions dont trois blindées, doit envahir la Belgique et les Pays-Bas en contournant la Position Fortifiée de Liège en passant par le Limbourg hollandais.  Le Groupe d’Armée A, totalisant 45 divisions dont sept blindées, doit traverser les Ardennes pour tenter de franchir la Meuse à Dinant, Monthermé et Sedan.  Les divisions blindées allemandes se heurtent, en Ardennes, à de petits détachements de Chasseurs Ardennais qui se montreront particulièrement pugnaces à Martelange, Stainchamps, Bodange et Chabrehez.

Dès l’annonce de l’invasion, nos « garants » français et britanniques sont appelés à l’aide.  Selon le plan Dyle-Breda, concocté par le général Gamelin, trois Armées françaises (7e, 1ère et 9e Armées avec de l’ordre de 25 divisions) et le Corps Expéditionnaire Britannique (réunissant 9 divisions) doivent pénétrer en Belgique pour venir renforcer les 22 divisions de l’Armée belge et tendre la main aux 10 divisions hollandaises.

Samedi 11 mai 1940

Au fort de Saint-Héribert, différents aménagements se poursuivent.  Les renforts français continuent d’affluer mais l’aviation allemande domine le ciel.  Vers 10 h 30, un avion mitraille la nouvelle position des mitrailleuses antiaériennes du fort.

A 12 h 30, l’Etat-Major de la Position fortifiée de Namur donne l’ordre au fort d’exécuter un tir sur la chapelle Saint-Roch !   Le fort de Malonne signale, à tort, la descente de parachutistes !  Dans les airs, on voit des parachutistes partout mais au sol, on n’en trouve aucun !  Vu le survol quasi continuel du fort, les mitrailleuses antiaériennes ont fort à faire et en retour sont mitraillées, voire bombardées avec des petites bombes assez inefficaces.

Le premier contact avec un officier français n’a finalement lieu que vers 16 heures.  On apprend que des canons français sont mis en batterie près de la ferme Bournonville et en soirée, qu’un bataillon français a pris position à Wépion.

Enfin, vers 22 heures, on aperçoit le bombardement, par avions, de la gare de Ronet.

Si, sur la Meuse, tout se déroule encore comme prévu, sur le canal Albert, la situation s’est considérablement dégradée !

Dès l’aube, les troupes aéroportées qui avaient pris pied sur le fort d’Eben-Emael sont rejointes par de l’infanterie.  Simultanément, les premiers chars allemands franchissent les ponts de Vroenhoven et Veldwezelt.  Le fort d’Eben-Emael va se rendre vers midi.

L’irruption de chars au sud du canal Albert et la chute d’Eben-Emael font, à terme, peser le risque d’encerclement de la Position Fortifiée de Liège et des troupes d’intervalle qui y sont postées.  Dès que la situation est connue du Grand Quartier Général belge, installé depuis la veille au fort de Breendonk, le repli des troupes belges du canal Albert et de la PFL est ordonné.  Bien des unités seront désorganisées au cours de cette retraite et bien du matériel perdu.  L’armée belge doit déjà se regrouper le long de la ligne KW qui, d’Anvers à Wavre, doit servir de ligne de résistance principale à la manœuvre « Dyle », voulue par le généralissime français, Gamelin.  L’armée belge doit y être rejointe, entre Louvain et Wavre, par les neuf divisions du Corps Expéditionnaire Britannique, puis entre Wavre et Namur, par les huit divisions de la 1ère Armée française, couverte par son Corps de Cavalerie de deux Divisions Légères Mécaniques.  Sur la Meuse, la 9e Armée française du général Corap doit tenir, avec seulement neuf faibles divisions, un front s’étendant de la Position Fortifiée de Namur à quelques kilomètres en aval de Sedan !

Aux Pays-Bas, même si l’assaut aéroporté contre La Haye est un échec, les opérations tournent toujours plus à l’avantage des Allemands.

En Ardennes aussi d’ailleurs.  Les sept bataillons de Chasseurs Ardennais qui couvraient le terrain ont dû décrocher sur ordre et laisser la place à quatre Divisions Légères de Cavalerie françaises qui, malgré leur bravoure, ne seront pas en mesure d’arrêter le déferlement teuton.  En fin de journée, les Allemands seront à Marche-en-Famenne et Bouillon !

Dimanche 12 mai 1940: Dimanche de Pentecôte

Ce dimanche de Pentecôte voit la destruction, sur ordre, des baraquements de temps de paix des forts de Namur.  Les Allemands se l’attribueront via « Radio-Stuttgart » alors qu’ils n’y sont pour rien !

A Saint-Héribert, cette destruction endommagera quelque peu le réseau de barbelés de l’entrée et la garnison devra s’employer à le réparer.  La présence ennemie y reste cependant uniquement aérienne.  Les servants des mitrailleuses antiaériennes, qui cherchent à perturber la suprématie aérienne allemande, sont dès lors les plus exposés et trois d’entre eux, les soldats Basseille, Grignard et Rousseau,  seront, ce dimanche, légèrement blessés par des éclats de bombe.

Au cours de la journée, deux chars sont repérés vers la chapelle de Covis.  L’information est transmise au fort de Dave.  Il est douteux que des blindés allemands soient déjà à portée de tir des forts mais les premiers détachements ennemis débouchent sur la Meuse en fin d’après-midi.

Tout d’abord à Yvoir, où, peu après 16 heures, une avant-garde motorisée de la 5. Panzerdivision de von Hartlieb tente de se saisir du pont d’Yvoir qui n’avait pas encore été détruit pour permettre le repli d’éléments de la 4e Division Légère de Cavalerie et de réfugiés.  Le premier blindé allemand qui s’engagea sur le pont sera touché par un obus tiré par le canon antichar de 47 mm des Chasseurs Ardennais posté en rive gauche.  Quelques instants plus tard, le pont saute à l’initiative du lieutenant de Wispelaere qui y perd la vie.  Peu après, c’est la 7. Panzerdivision de Rommel qui atteint la Meuse à la hauteur de Leffe.

Alors que ces événements ont lieu, dans l’ignorance de ses participants, une importante réunion de coordination se tient à Chièvres entre le Roi Léopold III et les commandements français et britannique.  Formellement, la coordination du front est confiée au général Billotte et personne ne semble s’inquiéter des mouvements de troupes en Ardennes.  Tous s’attendent toujours à une bataille décisive en moyenne Belgique.

Et effectivement les premiers accrochages entre blindés français et allemands ont lieu dans l’après-midi du côté de Hannut.

Aux Pays-Bas, les premiers éléments de la 7e Armée française, (7 divisions, aux ordres du général Giraud, dont une DLM) envoyée au secours des Hollandais, arrivent au contact des Allemands à proximité de Tilburg et se heurtent à la 9. Panzerdivision qui a passé la Meuse la veille à Gennep.  Les Français doivent bien vite refluer en l’absence d’appui aérien et même de DCA.

Sur la Semois, les 1., 2. et 10. Panzerdivisionen s’emploient à franchir le cours d’eau afin de reprendre leur progression sur Sedan.  Une nouvelle division blindée allemande, la 6. Pz-Div. est pénétrée en Ardennes pour se diriger vers Monthermé.

Les premières tentatives françaises et britanniques de quelque importance destinées à bombarder les colonnes allemandes se soldent par des échecs en raison de l’efficacité de la Flak (l’artillerie antiaérienne allemande).

Lundi 13 mai 1940:

 Jour de malheur pour les armées alliées !

Si la journée restera calme au fort de Saint-Héribert, certains indices laissent pourtant à penser que tout ne se déroule pas au mieux pour les armées alliées !  Les postes avancés et les patrouilles voient trop de réfugiés, trop de soldats isolés ainsi que du matériel et même des documents militaires abandonnés !  Ils constatent aussi que les soldats français regagnent déjà la rive gauche de la Meuse.  Enfin un télégraphiste du fort, Baudart, est détaché au central civil de Bois-de-Villers, vraisemblablement pour remplacer un civil défaillant.

Il est vrai qu’en limite de portée des canons du fort, la situation est déjà sérieusement compromise.  La veille au soir, un bataillon allemand a traversé la Meuse sur l’étroite passerelle du barrage de l’écluse de Houx.  La pression allemande se manifeste aussi dès l’aube par des tentatives de franchissement d’éléments des 5. et 7. Pz-Div., respectivement à Yvoir et à Leffe.  Le premier assaut n’est pas décisif mais la 5. Pz-Div. va bien vite reporter son effort à l’écluse de Houx et la 7. Pz-Div., sous l’impulsion personnelle de Rommel et l’appui direct, depuis la rive droite, de ses chars et de son artillerie, va assez rapidement prendre l’ascendant à Bouvignes. A la mi-journée, la tête de pont allemande s’étend pratiquement de Anhée à Dinant mais les hauts commandements belge et français n’ont auront pas réellement conscience avant le lendemain.  Il n’y a pas encore assez d’éléments de pontage disponibles pour construire un pont d’équipage mais Rommel en réunit suffisamment pour former deux bacs (des portières en terme du Génie) pour faire passer ses premiers véhicules.

A Sedan et à Monthermé, les assauts allemands ne se développent pas avant le début de l’après-midi.  La Meuse sera franchie en ces deux points au cours de l’après-midi et si les Allemands seront quelque peu bloqués à Monthermé, la situation évoluera bien plus rapidement à Sedan où un important soutien aérien allemand va quasi paralyser la défense française pendant toute la journée.  Il est vrai qu’à Sedan, c’est trois Panzerdivisionen qui sont à la manœuvre ; les 1., 2. et 10. Pz-Div.  En soirée, craignant que des chars allemands soient déjà en rive gauche de la Meuse, des unités d’artillerie lourde se replient précipitamment.  Les chars allemands ne passeront pas le fleuve avant le lendemain à l’aube mais à Sedan, le front cède déjà de toutes parts.

Bien plus au Nord, aux Pays-Bas, l’envahisseur prend aussi le dessus sur l’armée hollandaise.  La 7e Armée du général Giraud est déjà condamnée au repli.  Les parachutistes allemands, atterris à Moerdijk le 10 mai, ont été rejoints par la 9. Pz-Div.  dans la nuit du 12 au 13 mai.  La deuxième coupure, tenue par les parachutistes allemands, Dordrecht, est atteinte, par la 9. Pz-Div., dans l’après-midi du 13 mai et une partie des blindés allemands poursuivra vers Rotterdam sans attendre la fin des combats à Dordrecht.

En moyenne Belgique, Les deux divisions blindées du Corps de Cavalerie français sont aux prises avec les 3. et 4. Pz-Div. Malheureusement, les Allemands vont concentrer la plupart de leurs blindés sur la seule 3e Division Légère Mécanique française.  Plus réactifs que les Français en raison de meilleurs moyens de radiocommunications, les Allemands parviendront à contourner certaines positions françaises.  En fin de journée, le général Prioux, commandant du Corps de Cavalerie français, ordonnera un recul de ses forces d’une quinzaine de kilomètres.

Mardi 14 mai 1940

Au matin, des batteries françaises ont pris position à Bois-de-Villers.  Le lieutenant Fils est chargé de nouer le contact.  Il s’agit de canons d’un Régiment d’Artillerie Lourde Divisionnaire, le 211e RALD, commandé par le lieutenant-colonel Duhil de Benazé et rattaché à la 5e DIM (Division d’Infanterie Motorisé).  Les batteries françaises vont tirer sur le sanatorium de Godinne.  Selon les Français, il n’y aurait plus d’éléments amis en rive droite de la Meuse.  Les artilleurs français vident leurs caissons (soit une cinquantaine de coups par tube) puis se retirent, entraînant même certains observateurs du fort dans leur retraite !  Deux postes d’observation (de St-Hubert et du Manoir) sont ainsi désertés.  Au poste d’observation « des Pruniers », un seul homme reste !  Il recevra deux volontaires en renfort.

Vers 18 heures, l’équivalent d’une compagnie française prend position au « Ris de Flandre ».  Il s’agit en fait d’éléments du Groupe de Reconnaissance du 2e Corps d’Armée, commandé par le capitaine de Soultrait qui tente de joindre son supérieur, le lieutenant-colonel Faure.  Par l’intermédiaire de ce dernier, le fort apprendra que les Français se replient sur une ligne Bois-de-Villers – Lesves – St-Gérard, que le 211e RALD s’est replié sur Fosses et que tous les ponts sur la Meuse sont détruits.

Vers 21 heures, l’équipe « du Manoir » réoccupe son poste d’observation.

Tous ces événements sont en lien avec la pression allemande entre Anhée et Dinant.  Si une contre-attaque française a pu réoccuper Haut-le-Wastia au lever du jour, les Français ont dû très rapidement se replier car une division d’infanterie allemande commençait à passer la Meuse à Godinne.  Rommel poussera les quelques chars déjà disponibles en rive gauche vers Onhaye.  Haut-le-Wastia sera repris par les Allemands en cours de journée et si aucun pont d’équipage ne sera ouvert de la journée, la tête de pont allemande se renforce néanmoins.

A Monthermé, en l’absence de pont, la 6. Pz-Div. piétine face à la belle résistance des hommes du commandant Verdier, le 2e Bataillon de la 42e DBMC (Demi-Brigade de Mitrailleurs Coloniaux).

A Sedan, les contre-attaques françaises, décidées la veille et exécutées au matin, sont brisées par l’irruption des premiers chars allemands en rive gauche de la Meuse.
L’aviation alliée tente, sans succès et avec de lourdes pertes, d’intervenir contre les deux ponts provisoires construits par les Allemands au cours de la nuit du 13 au 14 mai.

En Hollande, les premiers chars allemands font leur jonction avec les parachutistes largués le 10 mai à Rotterdam.  Un ultimatum est lancé par les Allemands, sommant les Hollandais à se rendre et en début d’après-midi, les Allemands, pressés d’en finir, lancent un raid aérien meurtrier sur la ville.  La résistance hollandaise va s’effondrer !

En moyenne Belgique, les affrontements entre blindés français et panzers allemands se poursuivent.  En fin de journée, le Corps de Cavalerie français va se replier derrière la ligne Wavre-Namur où les six Divisions d’Infanterie de la 1ère Armée du général Blanchard ont pu prendre position.  La position de résistance Anvers-Namur est plutôt bien garnie avec plus de trente divisions belges, britanniques et françaises mais le front de la Meuse, entre Namur et Sedan n’accueille qu’une quinzaine de divisions françaises qui doivent faire face à une quarantaine de divisions allemandes dont sept Panzerdivisionen.

Mercredi 15 mai 1940 – St-Héribert entre dans la bagarre !

En six heures, le fort va tirer près de 2.000 obus !  Dès 0 h 30, la coupole de 75 GP tire sur la rive droite de la Meuse, à la hauteur de l’écluse de Rivière, à la cadence de 50 coups, par pièce et par heure.  A 2 heures, la cadence est portée à 75 coups par pièce et par heure.  A 4 h 10, les obusiers de 75 mm ouvrent le feu sur le débouché sud du tunnel de Lustin.  La cadence de toutes les pièces est portée à 120 coups par heure.
A 6 h 20, ordre de cesser le feu.

Entretemps, le fort aura connu son premier mort.  Une patrouille avait été envoyée dans la nuit vers Bois-de-Villers car le central téléphonique civil n’y répondait plus.  En chemin, elle eut à soigner un blessé français (adj. Richard du 8e RI).  En rentrant au fort, vers 2 h 20, le soldat Radu va tomber dans le fossé et s’y noyer.

A 10 h, les obusiers du fort ouvrent le feu sur le château de Mariensberg où les Allemands sont signalés.  Vers midi, le capitaine de Soultrait, en position au carrefour du Ris de Flandre, fait part de mouvements de repli français.  L’artillerie du fort intervient épisodiquement pour soutenir ce repli.   L’aviation allemande intervient aussi et bombardera une nouvelle fois la position des mitrailleuses antiaériennes du fort.  Vers 15 h, le poste d’observation « du Manoir » ne répond plus.  Celui « des Pruniers » signale le repli des derniers Français, serrés de près par les Boches.  En appui des Français, le fort reprend ses tirs.  Ordre est cependant donné au poste d’observation « des Pruniers » de se replier sur le fort.  Durant toute l’après-midi, la retraite française va se poursuivre, à l’occasion avec le soutien de l’artillerie du fort.  Mais, au soir, nul ne pourra plus ignorer que le fort est isolé et le commandement aura une nouvelle mission prioritaire : regonfler le moral des troupes !

Heureusement que la garnison du fort n’est pas au courant de la situation générale car ce 15 mai, la Hollande va capituler et la situation va irrémédiablement se détériorer sur la Meuse où, à la 9e Armée, le général Corap est remplacé par le général Giraud.

Au matin, Rommel dispose enfin d’un pont d’équipage.  Tous ses panzers peuvent dès lors passer la Meuse.  Prochain objectif : Philippeville.   Sur sa droite, la 5. Pz-Div. va disposer d’un pont vers midi.  Les 7. et 5. Pz-Div. vont ensuite se heurter, du côté de Flavion, à la 1ère Division Cuirassée de Réserve française.  Cette division a été envoyée en renfort, la veille, depuis Charleroi où elle avait été débarquée par chemin de fer pour rester en réserve de la 1ère Armée, déployée entre Wavre et Namur.  Si les blindés de la 1ère DCR ont rejoint Flavion, leur ravitaillement en essence n’a pas suivi à temps et une partie des blindés français combattront presque en panne sèche !  Au soir du 15 mai, les Allemands ont pris le dessus et la 1ère DCR a été engagée en vain.

A Monthermé, au matin, un pont a été ouvert au profit de la 6. Pz-Div. et le front français va dès lors irrémédiablement céder.  A Sedan, les Allemands peuvent entamer l’exploitation de leur tête de pont bien qu’à Stonne, l’intervention de la 3e Division Cuirassée de Réserve va longtemps menacer leur flanc sud.

En moyenne Belgique, entre Louvain et Namur, Britanniques et Français subissent une forte pression allemande mais conservent globalement leurs positions.

Jeudi 16 mai 1940 – Effondrement du front !

Dès minuit, le fort intervient au profit du fort de Dave qui sollicite un tir vers l’écluse de Tailfer, puis une heure plus tard, vers la gare de Dave-Nord.  A deux heures du matin, les derniers éléments français du GRCA du lieutenant-colonel Faure se retirent, par les Six-Bras, vers Lesves et St-Gérard.

En cette fin de nuit, le fort ne dispose plus que de quatre postes extérieurs.  Il est jugé nécessaire de réoccuper le poste d’observation « des Pruniers » et ses anciens occupants se portent volontaires.

A 9 h 30, le fort commence à être bombarder par l’artillerie allemande.  Avec l’aide du fort de Dave, l’artillerie adverse est localisée vers la chapelle Covis.  Les deux forts vont contrebattre les batteries allemandes épisodiquement jusqu’à 17 h 30.   Entretemps, comme le fort de Dave a signalé la construction d’un pont vers Rivière, deux volontaires (Lorand et Mottet) sont chargés d’en reconnaître l’emplacement exact.  Ils ne reviendront pas, faits prisonniers par les Allemands.

Vers 20 heures, violent bombardement du fort alors que le poste d’observation « des Pruniers » signale des Allemands vers « la Sibérie », lieu-dit sur les hauteurs de Profondeville.  Deux observateurs partis en reconnaissance doivent faire le coup de feu avec une patrouille allemande.  Des pièces allemandes sont néanmoins localisées dans un verger près de l’ancien poste d’observation de « St-Hubert ». De concert avec le fort de Dave, un tir sur zone est exécuté.  Le bombardement cesse vers 21 heures.

Vers 21 h 30, le poste d’observation « des Pruniers » doit être évacué sous la pression ennemie et peu après l’abri 17 devra aussi être évacué.

Une patrouille découvre un soldat français grièvement blessé à la tête près du fort.  Evacué, le blessé, Pierre Fernand sera trépané à l’infirmerie du fort.  Bien que dans le coma, l’état du blessé va s’améliorer mais il décédera après la reddition du fort.

Par ailleurs, cette journée entérine une dégradation significative de la situation générale.
La veille, sur ordre du G.Q.G., le 7e Corps d’Armée belge, composé de la 2e Division de Chasseurs Ardennais et de la 8e Division d’Infanterie, a quitté la Position Fortifiée de Namur pour rejoindre le gros de l’armée belge.   Ce jeudi, c’est l’ensemble des troupes franco-britanniques aventuré en Belgique qui est contraint au repli.  L’information est communiquée par le général Nuyten, officier de liaison belge auprès du Q.G. du général Billotte.  Le front Anvers-Namur risque en effet d’être tourné par la percée allemande sur la Meuse.  La 9e Armée française, enfoncée sur la Meuse, doit se replier sur « la Position de Résistance établie en territoire national » (mais déjà tournée par les Allemands sur la Meuse française).  Belges, Anglais et la 1ère Armée française doivent aussi se replier sur l’Escaut ou la frontière française !

En fait, la bataille est perdue et Winston Churchill, de passage à Paris en fin d’après-midi, s’en rendra vite compte.  Le Quai d’Orsay brûle ses archives au vu et au su de tous et Gamelin avoue ne pas avoir de réserves !

Dans la nuit du 16 au 17 mai, la 7. Pz-Div. atteint Avesnes et la 5. Pz-Div. Aulnoye.  La 6. Pz-Div. sera à Guise…  L’avance des Panzerdivisionen est si rapide que c’est leur chef, le général von Rundstedt, qui tente de les freiner mais il ne sera guère écouté !

Vendredi 17 mai 1940

Le personnel de l’abri 17 a pu regagner le fort au lever du jour.

Vers 10 h 10, des parlementaires allemands se présentent ; deux officiers et le porteur du drapeau blanc.  Ils ne dépasseront pas la barrière Cointet, au sommet de la rampe du fort.  Le lieutenant Fisette, commandant en second, est prié de les éconduire au plus vite.  Il les interpelle depuis la grille et les enjoint de se retirer.  Les parlementaires menacent le fort de bombardement en cas de refus de se rendre mais ne s’attarderont pas car les coupoles se sont tournées vers des soldats allemands qui, débouchant du carrefour Gesnot, s’enfoncent dans le bois Tonneau.  Les coupoles se retrouvent dès lors aussi tournées vers les parlementaires !

Vers 11 h 30, l’abri du Tronois signale des motocyclistes.  Les forts de St-Héribert et de Dave suspectent qu’ils vont tenter de se ravitailler à la pompe à essence Shell de la chaussée de Dinant et vont pointer leurs pièces sur ce lieu.  Les Allemands vont effectivement s’y présenter et le tir des forts leur causera quelques pertes.

A midi, on apprend que trois nouveaux postes d’observation ont été évacués.

A 20 h 20, le fort de Dave signale qu’un pont est en construction à Godinne et que des emplacements d’artillerie sont en préparation près de la ferme « D’En Haut ».  Ces deux objectifs seront harcelés par les pièces de Dave et de St-Héribert toute la nuit.

Vers 22 heures, le poste d’observation « du Tronois » repère des Allemands entre « la brèche 43 » et la villa « Bella-Vista ».  L’artillerie du fort intervient et le tir, par les Allemands, de fusées rouges, confirme qu’ils sont sous le feu.

Au cours de la nuit, le dernier poste d’observation du fort doit être abandonné.

La situation générale ne s’est pas améliorée.  Pour éviter les attaques aériennes, les replis, décidés la veille, s’effectuent principalement de nuit.  En trois étapes, les divisions belges déployées sur la ligne KW, entre Anvers et Wavre, doivent se replier sur l’Escaut.  La pression allemande en Belgique faiblit pourtant avec le retrait des 3. et 4. Pz-Div. Les Britanniques et la 1ère Armée française se retirent en relativement bon ordre mais à la 2e Armée ainsi qu’à la 9e Armée, cela a tourné à la débandade !

Premier signe d’espoir, la contre-attaque de la toute nouvelle 4e DCR, aux ordres de de Gaulle, sur Montcornet.  De Gaulle, qui n’est encore que colonel (comme Pétain en 1914), prend le commandement de cette Division Cuirassée le 12 mai alors qu’elle est toujours en formation.  Peu étoffée, la division reçoit pour mission d’opérer, « seule en avant, dans la région de Laon, pour donner le temps à la 6e Armée (général Touchon) de se rassembler et d’intervenir. »   De Gaulle dépendra en direct du général Georges, commandant de tout le front nord-est.  Menant assez rudement ses hommes, de Gaulle réussit quelque peu, le 17 mai, à Montcornet, à entraver l’avance allemande.  Il est surtout crédité de la destruction de deux convois de ravitaillement en munitions de l’artillerie.  L’action est néanmoins décousue en raison d’une logistique défaillante et en fin de journée plus d’un tiers des blindés français, engagés par de Gaulle, sont hors de combat.

Autre lueur d’espoir, de retour à Londres, Winston Churchill veut déjà préparer le Royaume-Uni à poursuivre seul la lutte !

Samedi 18 mai 1940

Matinée relativement calme au fort de St-Héribert car seuls quelques obus seront tirés vers une infiltration allemande repérée par une patrouille.

A midi, changement d’ambiance avec un nouveau bombardement du fort.  L’artillerie ennemie est localisée sur le plateau de la chapelle Covis et de la ferme « D’En Haut » et le tir de contrebatterie du fort parvient à ralentir la cadence du tir adverse qui se poursuivra cependant jusqu’au lendemain.  Au fort, c’est la contre-escarpe qui est la plus atteinte mais les dommages ne sont pas significatifs.

Des infiltrations d’infanterie seront repérées l’après-midi et prises à partie par les obusiers.

Les Boches feront ensuite précéder leurs infiltrations par des civils (en violation de toutes les conventions internationales), obligeant les artilleurs du fort de ne viser que l’arrière des groupes de soldats allemands.

Le harcèlement de l’artillerie du fort se poursuivra toute la nuit : la coupole bitube de 75 GP tire vers le pont localisé à Godinne ainsi que dans la vallée du Burnot ; les obusiers tirent vers la chapelle Covis, la ferme « D’En Haut » et la route des Morts.

Le fort apprend en fin d’après-midi la chute du fort de Marchovelette.

En fin de journée, un message d’encouragement du Roi, diffusé par la radio nationale, remet un peu de baume au cœur des défenseurs du fort.

Pour ce qui est de la situation générale, les bouleversements ne seront pas militaires mais politiques !   Le gouvernement français était en fait démissionnaire au soir du 9 mai 1940 en raison de divergences de vue entre le Président du Conseil Paul Reynaud et son ministre de la Défense, Daladier.  Seule l’offensive allemande du 10 mai avait permis à ce gouvernement de se maintenir alors qu’à la même date, à Londres, Chamberlain devait céder sa place de Premier Ministre à Winston Churchill.

Ce samedi 18 mai 1940, Paul Reynaud décide d’un remaniement de son gouvernement pour y faire entrer, comme vice-président du Conseil,  une vieille gloire nationale, le maréchal Pétain, âgé de 84 ans !  Reynaud l’avait rappelé à Paris dès le 16 mai de Madrid où le maréchal était ambassadeur.  A la même date, Reynaud rappelle de Syrie le général Weygand (73 ans) qui ne pourra rejoindre la France que le 19 mai.  Manifestement les jours du général Gamelin à la tête des armées françaises sont comptés !

Sur le terrain, au nord de la percée allemande de Sedan, les troupes belges, françaises et britanniques poursuivent leurs replis.  Au sud de la percée de Sedan, le colonel de Gaulle a dû retirer ses forces de Montcornet et ne sera pas en mesure de reprendre l’offensive avant le lendemain.  On découvre qu’une action d’éclat (plus nombreuses que la plupart ne le pense) ne donne pas la victoire !  Et on continue à rameuter des troupes pour tenter un « colmatage » !

La pause des opérations ordonnée par von Rundstedt à ses Panzerdivisionen n’est guère suivie d’effet et officiellement von Rundstedt met fin à ses restrictions de manœuvre au cours de l’après-midi.  Son flanc gauche (sud) a pu se renforcer et la contre-attaque de de Gaulle à Montcornet de la veille, même si ce fut « la première résistance sérieuse depuis Sedan », n’a guère contrarié ses plans.

Dimanche 19 mai 1940

Le fort de St-Héribert continue à repérer des infiltrations allemandes et à les prendre à partie avec son artillerie.  Des observateurs d’artillerie sont aussi aperçus et neutralisés par le feu des pièces.

Vers 9 h 30, le bombardement intensif du fort va reprendre.  Le béton commence à souffrir mais l’artillerie, malgré quelques coups au but sur ses coupoles cuirassées, reste opérationnelle.

En début d’après-midi, le bombardement va diminuer d’intensité pour cesser complètement au cours de l’après-midi.

Les infiltrations allemandes se poursuivent et lorsqu’elles sont détectées, sont combattues par le feu des coupoles d’obusier de 75 mm et des deux coupoles de mitrailleuses.

La chute du fort de Suarlée est connue en fin de journée.

En ce qui concerne la situation générale, les combats se poursuivent, âpres par endroits mais rien ne semble plus pouvoir infléchir l’avance allemande.  Ce n’est pas du pessimisme mais du réalisme !  Après son passage à Paris du 16 mai, Winston Churchill ne croit plus guère à un redressement de la situation et ne pense plus qu’au sauvetage de son Corps Expéditionnaire.

D’ailleurs, Lord Gort, commandant du Corps Expéditionnaire Britannique envisage déjà froidement de rembarquer.  Il va devoir en postposer l’exécution car, à la veille de son départ, le général Gamelin émet une dernière directive qui va quelque peu brouiller les cartes.  « Sans vouloir intervenir dans la conduite de la bataille en cours », Gamelin suggère que les forces aventurées en Belgique s’ouvre la route de la Somme !

Finalement peu au fait de certaines réalités militaires, Winston Churchill va s’enthousiasmer pour ce plan qui, de retard en retard, deviendra inexécutable. L’ambiguïté ne sera levée que le 25 mai.  A noter que si une telle retraite est éventuellement envisageable pour les troupes franco-britanniques, regroupées à la hauteur de la frontière franco-belge, elle est irréalisable pour les troupes belges, déployées plus au nord et déjà fort éprouvées par leurs précédents déplacements, bien souvent pédestres.

Paul Reynaud remplace officiellement Gamelin par Weygand le 19 mai à 18 h 30.  La passation de pouvoir ne pourra avoir lieu que le lendemain matin.

Entretemps, le général Giraud sur lequel on avait placé tous les espoirs de redressement de la 9e Armée a été fait prisonnier au petit matin.  Son état-major avait d’ailleurs été capturé la veille au soir, au Catelet, après avoir fait le coup de feu contre les Allemands.

La Division Cuirassée de de Gaulle parvient à reprendre l’offensive vers Crécy-sur-Serre (au nord de Laon) mais devra bien vite marquer le pas.

En fait, 9 Panzerdivisionen ont fait leur jonction le long de la ligne Cambrai-Péronnes-Ham et foncent, le long de la Somme, entre Cambrai et St-Quentin.

Lundi 20 mai 1940

A St-Héribert, nous pourrions presque croire qu’une certaine routine s’installe avec la poursuite du combat contre les infiltrations ennemies.

Le changement le plus notable est assez trivial : on attaque les conserves alors que jusqu’ici le fort avait encore pu s’approvisionner en vivres frais, ramenés par les patrouilles !

De 10 heures à 19 heures 30, l’artillerie allemande va à nouveau s’acharner sur le fort.
C’est la contre-escarpe qui subit le plus de dommages, pas le massif central où est implanté le plus puissant armement du fort, la coupole bitube de 75 GP.

A Vincennes, G.Q.G. de l’armée française, où la passation de pouvoirs s’est faite rapidement entre Gamelin et Weygand, ce dernier découvre qu’il n’y dispose même pas de moyens de communications radio !   Weygand décide de rencontrer Gort et Léopold III le lendemain à Ypres pour se faire une opinion personnelle de la situation générale.

Les Allemands ne l’attendront pas.  Au matin, les Boches sont arrivés à Arras et à Cambrai.  A Arras, la 7. Pz-Div. sera freinée par les Anglais mais la 8. Pz-Div., entrée à Cambrai, parviendra à pousser jusqu‘à Bapaume.  Amiens est traversée, en fin de matinée, par les 1. et 2. Pz-Div. qui franchissent la Somme et descendent ensuite la Somme sur ses deux rives pour s’emparer d’Abbeville en milieu d’après-midi.  Au soir, les panzers du général Guderian, le théoricien de la blitzkrieg, atteignent la côte.  Les Armées alliées sont coupées en deux et coupées de leurs chaînes logistiques !  Le « coup de faucille », préconisé par le général Manstein, est devenu réalité !  Pour les Belges, Français et Britanniques la bataille est déjà perdue !

L’hallali se préparait aussi face au fort de St-Héribert.  La 211. ID (Infanteriedivision), l’une des trop nombreuses divisions d’infanterie allemande de formation récente (septembre 1939), est arrivée sur la Meuse pour y relever la 267. ID.  Les batteries de canons de 105 et 150 mm qui dépendaient jusqu’ici de la 267. ID passent sous le commandement de la 211. ID.  Le passage de la Meuse étant toujours embouteillé car seuls deux ponts sont disponibles, l’encerclement du fort de St-Héribert n’est à l’ordre du jour que du 20 mai.  Le général Renner, commandant de la 211. ID sait que des parlementaires ont été éconduits.  La 211. ID va obtenir l’appui du Flakregiment 19 qui couvre les passages de la Meuse.  Trois batteries de 88 mm et deux de 20 mm seront mises à la disposition de la 211. ID pour réduire les forts.  L’attaque du fort de Saint-Héribert est fixée au 21 mai.

Le général Gort, commandant du Corps Expéditionnaire Britannique, a fait remonter ses inquiétudes pour le sort de ses troupes au War Office.  Si ce dernier lui enjoint d’agir vers Arras, il y consacrera peu de moyens.  Ces inquiétudes amènent cependant l’Amirauté britannique a lancé l’étude d’un plan d’évacuation.  Celui-ci ne porte au départ que sur le rembarquement d’une quarantaine de milliers d’hommes, sans se soucier du sort des Belges et Français combattant aux côté des Britanniques !

Les jours suivants, sur ordres d’Hitler, les panzers, seront progressivement mis au repos pour se préparer en vue de la seconde phase de l’invasion de la France.  La réduction des dernières résistances des troupes belges, françaises et britanniques est abandonnée aux divisions d’infanterie et à l’aviation.

Mardi 21 mai 1940 – Chute du fort de Saint-Héribert

Dans la nuit, une patrouille doit se replier car les Allemands sont tout proches.  Un groupe a même été vu, rampant dans les champs.  Toutes les coupoles interviennent.

A 4 h 26, intense bombardement du fort qui s’interrompt à 4 h 43 pour reprendre à 4 h 50 avec des fumigènes.  Une coupole tire à boites à balles sur un groupe de fantassins détecté alors qu’il sortait du bois Tonneau pour s’avancer vers la rampe d’accès.  Les mitrailleuses du corps de garde entrent aussi dans la danse.  D’autres groupes suivent et malgré les corps qui tombent, les Boches progressent et arrivent à l’emplacement des baraquements de temps de paix.  Les coupoles tirent alors même que le pilonnage du massif central se poursuit.  Des groupes d’assaillants sont bientôt signalés dans presque toutes les directions.  On demande au fort de Malonne de tirer vers la ferme de Laquisse et ses abords.

Quand le brouillard matinal et les fumigènes vont se disperser, on apercevra distinctement deux cadavres ennemis à 20 m du corps de garde de guerre.  Il est 8 heures du matin, l’assaut a échoué.

Le bombardement allemand s’intensifie mais sans fumigènes.

Une nappe fumigène venant de la ferme Laquisse arrive ensuite sur le fort.  Dans une trouée de la nappe, le poste d’observation cuirassé va repérer cinq hommes munis de lance-flammes sur le bord du fossé.  Ils sont abattus.  Comme on entend cisailler les barbelés, il est demandé aux forts de Malonne, Dave et Andoy de soutenir St-Héribert en bombardant les glacis.  La nappe fumigène se répand même dans les fossés et par précaution, obusiers et mitrailleuses tirent beaucoup mais plutôt à l’aveuglette !

La nappe fumigène finit par se disperser et le bombardement allemand prend fin.  Nouvelle pause marquant l’échec du second assaut.  Il est 8 h 50.

Mais sous le couvert des fumigènes, les Allemands ont poussé des canons à quelques centaines de mètres du fort, leur permettant de tirer avec une grande précision.  Au début, par l’observation, les coupoles sont averties des tirs ennemis, permettant de rétracter les coupoles à éclipse et à leur personnel de se réfugier à l’étage inférieur.  Mais les observatoires sont aussi pris à partie et leurs moyens d’observation progressivement détruits.  A l’observatoire « allemand », le soldat Balthazar sera même grièvement blessé. Aveuglées, les pièces belges ne peuvent plus répliquer efficacement.  Le martèlement répété de l’artillerie allemande finit par déchaussés les coupoles du béton.

Sous le feu de l’artillerie, les canons et obusiers du fort sont successivement muselés mais les coupoles de mitrailleuses tirent toujours.  Un conseil de défense décide de poursuivre la résistance jusque dans les fossés car les mitrailleuses des coffres sont intactes.  Pourtant, c’est l’équipement qui aura le dernier mot !  L’installation électrique est à la peine.  Elle aurait dû être renforcée mais au 10 mai, ce n’était pas encore fait.  Les moteurs risquent de s’arrêter à tout moment et avec eux, la ventilation et l’éclairage.  Deux servants de mitrailleuses sont déjà sérieusement intoxiqués par l’oxyde de carbone.

La reddition s’impose.  Les derniers moyens de défense sont détruits ainsi que les documents.  On répartit les vivres de réserve et la caisse de la cantine.  Le drapeau blanc est hissé.  Il est 12 h 10.  Le bombardement allemand prend fin vers 12 h 15.

Les jours suivants – La longue captivité

La garnison du fort de St-Héribert vient d’entamer une longue marche vers l’Allemagne, prélude d’une captivité de près de cinq ans.

Les derniers forts de la Position Fortifiée de Namur sont réduits au silence par la 211. ID. Malonne, qui fut en définitive attaqué en même temps que St-Héribert, s’est rendu une heure plus tard.  Le gros de la 211. ID est repassé sur la rive droite pour réduire, toujours avec l’appui d’unités de Flak, les forts de Maizeret, Andoy et Dave.  Maizeret et Andoy cèdent le 23 mai et Dave le lendemain.

Sous la pression de Weygand, le nouveau généralissime français, l’Armée belge a dû se replier sur la Lys pour dégager des troupes britanniques destinées à tenter de briser l’encerclement.  Les Chasseurs Ardennais s’illustreront encore sur la Lys alors qu’à Gand, des troupes flamandes vont se rendre sans combattre.  En fin de journée du 25 mai, le Corps Expéditionnaire Britannique décide de se replier sur Dunkerque et le lendemain, l’évacuation commence.  Environ 338.000 hommes (dont 123.000 Français) seront évacués entre le 26 mai et le 4 juin 1940.

Entretemps, l’Armée belge a été contrainte de capituler sans condition.

Le nouveau front, établi par Weygand entre la Somme et Stonne ne résistera pas à la reprise des opérations, dès le 5 juin, des dix divisions blindées allemandes.  Pétain, devient Président du Conseil, en remplacement de Reynaud, le 16 juin.  Dès le lendemain, il demande la cessation des combats.  Un armistice est signé le 22 juin.

Comble de l’infamie, cet armistice est signé, à Rethondes, dans le wagon de chemin de fer qui a vu la signature de l’armistice du 11 novembre 1918.  C’est un aveu implicite de la filiation entre les deux guerres mondiales.

Bibliographie

Le récit des combats menés par le fort de Saint-Héribert en 1940 n’aurait pas été possible sans le témoignage laissé par son commandant, le capitaine L’Entrée.  Cet ouvrage a été réédité par la Fondation Emile Legros, propriétaire du fort depuis 2013.

Il est en vente au prix de 25€. Commande fortsaintheribert@hotmail.com ou par téléphone: 0478/40 77 78.

Pour la situation générale, trois ouvrages se détachent :

  • « Comment perdre une bataille » de Alistair Horne (disponible dans la collection Texto des Editions Tallandier – 2010)
  • « Soixante jours qui ébranlèrent l’occident » de Jacques Benoist-Méchin (disponible dans la collection Bouquins des Editions Robert Laffont – 2011)
  • « Le mythe de la guerre-éclair – La campagne de l’Ouest de 1940 » de Karl-Heinz Frieser (Editions Belin – 2003 pour la version française).

Un tout grand merci à Michel André pour nous avoir raconté « Mai 40 ».