1. Site Historique
1.1 La genèse des Positions Fortifiées de Liège et de Namur
A l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, la France comme l’Allemagne vont renouer avec le service militaire obligatoire qui, à terme, doit leur permettre de réunir des effectifs bien plus considérables que ceux disponibles en 1870. Ainsi, en 1914, en France comme en Allemagne, près de quatre millions d’hommes seront mobilisés. Cet accroissement des effectifs fait rapidement craindre un élargissement des fronts. Enfin, la fortification de la nouvelle frontière franco-allemande fait que la vallée de la Meuse redevient la plus facile voie d’invasion entre les deux adversaires potentiels.
Cette évolution est assez rapidement perçue par les autorités belges et plus particulièrement par le général Henri-Alexis Brialmont (1821-1903) à qui on devait déjà, alors qu’il n’était encore que capitaine, les plans des forts I à VIII, construits à Anvers entre 1858 et 1864. A partir de 1882, le général Henri-Alexis Brialmont va promouvoir la construction des Positions Fortifiées de Liège et de Namur. Ce projet, soutenu par le Roi Léopold II, attendra pourtant quelques années avant de voir sa réalisation. Le gros-œuvre des vingt et un forts « Brialmont » sort de terre entre 1888 et 1892. La Position Fortifiée de Liège comprend douze forts et celle de Namur, neuf forts. Le fort de Saint-Héribert est un des quatre grands forts de la Position Fortifiée de Namur.
Lors de leur conception, les forts « Brialmont » sont à la pointe du progrès : ils sont construits en béton et tout l’armement est sous cuirassement. Les progrès techniques, dont le développement de très grosses pièces d’artillerie, font qu’ils ont perdu de leur superbe en 1914 mais bien peu en ont conscience.
1.2. Le fort de Saint-Héribert dans la grande Guerre
Saint-Héribert échappa au bombardement des plus grosses pièces allemandes et austro-hongroises car lorsqu’il fut abordé par l’ennemi, la bataille des frontières avait tourné à l’avantage de l’Allemagne et les troupes belges, françaises et britanniques étaient en plein repli. Un violent bombardement par obusiers de 15 cm, durant tout l’après-midi du 24 août 1914, rendit bien vite l’ouvrage indéfendable et sa garnison fut contrainte à la reddition en soirée.
Le béton, bien que non armé, a permis de limiter les pertes dans sa garnison. L’explosion d’un projectile, tombé entre la cuirasse et l’avant-cuirasse d’une coupole de 21 cm, fera quelques victimes dont l’une, plus grièvement blessée, le soldat Mahy, succombera de ses blessures, le lendemain, lors de son évacuation.
Au cours de la guerre, l’occupant allemand apportera certaines améliorations aux forts « Brialmont ». Le constat avait été fait qu’une majorité des soldats des garnisons des forts avait été intoxiquée par la poussière de ciment se détachant des voutes ainsi que par les fumées toxiques dégagés par l’explosion des obus lors des bombardements. En outre, les gaz dégagés par la combustion des charges propulsives de ses propres pièces ainsi que l’odeur nauséabonde émanant des toilettes sèches, en remplacement des latrines de la contrescarpe devenues inaccessibles lors des bombardements, ne devaient pas contribuer à la viabilité des ouvrages.
Les Allemands vont recouvrir la sortie d’infanterie et renforcer le plafond de certains locaux par des voiles de béton armé. La face inférieure de ces voiles est recouverte d’une tôle en acier galvanisé qui empêche le dégagement de poussières de ciment en cas de bombardement.
1.3. Le réarmement des années trente
Les aménagements allemands seront conservés et même étendus lors du réarmement des années trente. La plupart des ouvertures des locaux de l’escarpe sont condamnés. Pour renforcer la résistance des organes de combat, des galeries souterraines, renforcées de béton armé (appelées le « quadrilatère inférieur »), sont aménagées sous le massif existant. Elles accueillent les munitions et leurs artifices, le poste de commandement et les transmissions. Enfin, pour faciliter l’évacuation des fumées toxiques, on tente de mettre tous les locaux en surpression en installant une ventilation forcée. L’alimentation électrique n’est plus dépendante d’une machinerie à vapeur mais de groupes électrogènes. L’armement est plus réduit mais plus moderne. Les observatoires sont plus nombreux et mieux protégés ainsi que leurs liaisons téléphoniques. Enfin des abris bétonnés ont été érigés dans les intervalles ainsi que des barrières antichars.
1.4. La Belgique entraînée dans la seconde Guerre Mondiale
La Belgique a renoué avec la neutralité en 1936 mais sa position géographique peut difficilement la mettre à l’abri d’une invasion. Le pays veut cependant croire en la dissuasion armée car l’armée belge semble tellement plus forte : 22 divisions contre 7 en 1914, plus de 600.000 hommes sous les armes contre 234.000 en 1914.
Les forts sont mis sur pied de guerre dès septembre 1939 et l’invasion de la Pologne par l’Allemagne. La longue « drôle de guerre » et ses nombreuses alertes minent quelque peu le moral de l’armée belge mais guère la garnison du Fort de Saint-Héribert.
Une nouvelle alerte a lieu dans la nuit du 9 au 10 mai 1940 et cette fois, c’est la bonne !
S’il n’y a pas de surprise stratégique, il y a surprise tactique avec la neutralisation en une quinzaine de minutes du fort d’Eben-Emael et la capture de deux ponts sur le canal Albert, par des troupes aéroportées, à l’aube du 10 mai 1940. Les Allemands bénéficient aussi d’un efficace appui aérien alors que les cocardes belges, anglaises et françaises semblent inexistantes dans le ciel. Et puis les puissantes formations blindées allemandes vont rapidement ouvrir des brèches dans le front continu allié. Le 12 mai au soir, les panzers allemands sont à Yvoir, Houx, Leffe et Dinant. Dès le lendemain, les Allemands sont sur la rive gauche de la Meuse. Sur la Meuse, la IXe Armée française du général Corap s’est bien élancée au secours des Belges et elle recevra le soutien de l’artillerie du fort de Saint-Héribert du 13 au 16 mai. Mais face à la supériorité tactique allemande, les troupes françaises, moins bien appuyées par leurs blindés et pas du tout par leur aviation, vont céder. Dès le 16 mai, c’est le repli sur la France et pour les Belges, sur l’Escaut.
1.5. Saint-Héribert en mai 1940
En 1940, les Positions Fortifiées de Liège et de Namur semblent ne pas avoir servi à grand-chose car elles ont été largement contournées ! Leur réduction est abandonnée à des unités de réserve. Pour Saint-Héribert et Malonne, c’est la 211e division d’infanterie (DI) allemande, appuyée d’unités de la Flak, la défense antiaérienne allemande qui dépend de la Luftwaffe, qui est à la manœuvre.
Progressivement, du 16 au 20 mai, les observatoires avancés du fort ont dû être évacués et les patrouilles à l’extérieur du fort doivent être réduites puis abandonnées. Le fort ne peut plus compter que sur ses propres moyens d’observation qui se limitent à deux petits observatoires blindés et aux organes de visée de l’armement sous coupole.
L’assaut de la 211e DI contre les forts de Malonne et de Saint-Héribert est planifié pour le 21 mai à l’aube. Après un barrage d’artillerie, les troupes d’assaut s’avancent sous le couvert d’obus fumigènes. Une action un peu trop téméraire près de la rampe d’accès vaut aux assaillants quelques pertes dont un officier grièvement blessé, le capitaine Kolnert et deux tués, dont un autre officier, le lieutenant Kalmas. Un certain flottement s’installe dans les rangs allemands mais l’attaque est relancée en privilégiant l’appui efficace obtenu par le tir tendu des pièces de 88 mm et même de 20 mm de la Flak et des canons de 37 mm de la Pak (canons antichars allemands).
Les coupoles et observatoires du fort souffrent sévèrement du martelage très précis de ces pièces d’artillerie dont certaines ont été poussées, à bras d’homme, à moins de 1.000 m du fort. Les lunettes d’observation sont détruites ou gravement endommagées, la rotation des coupoles faussée, voire définitivement compromise.
En outre, les munitions s’épuisent (à la reddition du fort, sur une dotation de 7.724 obus, il ne restait que 10 projectiles). Enfin, les groupes électrogènes sont sur le point de lâcher alors que la ventilation est à la peine et des servants de mitrailleuses déjà intoxiqués. Dans ces conditions, le capitaine L’Entrée se résout à rendre l’ouvrage. Il est 12 h 10, le mardi 21 mai 1940.
Une nouvelle fois, le béton a bien protégé les soldats belges car la garnison ne déplore qu’un seul mort et quelques blessés pour tout le siège. L’incident le plus dramatique est survenu au retour d’une patrouille, aux premières heures du 15 mai, alors que la coupole de 75 mm GP était en action. Le pont roulant n’avait été avancé que d’un petit mètre pour livrer passage à la patrouille. Il semble que la canonnade entraîna un mouvement de panique au cours duquel le soldat milicien Radu, de la classe 40, tomba dans le fossé. Ce fossé étant en partie envahi d’eau et de boue, avant que le soldat puisse être secouru, il s’était noyé et ne put être réanimé.
Le service sanitaire du fort eut plus de succès en soignant deux blessés français ramenés par des patrouilles. L’un deux, grièvement blessé à la tête, fut même trépané au fort. Malheureusement, il décédera une dizaine de jours plus tard, du côté de Marche-en-Famenne.
Le dernier commandant du fort, le capitaine L’Entrée a rédigé un historique du fort de Saint-Héribert que la fondation Emile Legros s’efforce de rééditer. Ce fut une source précieuse pour le présent historique et un bel hommage pour les hommes qui combattirent sous ses ordres.
1.6. Le fort de Saint-Héribert tombe dans l’oubli
Ferraillé pour le compte de l’occupant, le fort n’offrira plus qu’un bien piètre spectacle aux membres de la « Fraternelle des Défenseurs du Fort de Saint-Héribert » qui y reviennent encore jusqu’au début des années soixante, décennie au cours de laquelle le site, vendu par la Défense à un premier particulier, sera totalement remblayé et sombrera dans l’oubli.
Il y aura bien quelques projets de réaffectation du site mais aucun n’aboutira.
Pour que ne s’estompe pas le souvenir de ces événements et de leurs acteurs, une stèle est érigée le 31 mai 1981 non loin du fort, dans l’angle formé par la route de Saint-Gérard (N951) et la rue du Ry de Flandre.
2. Chronologie d’une Renaissance
Le site trouve un nouveau propriétaire en avril 2013 en la personne de Monsieur Emile Legros, déjà propriétaire d’une des prairies qui le jouxte. Au départ, il compte rentabiliser son achat par la vente de bois de chauffage. C’est qu’en septante ans, la végétation a repris ses droits : le site, qui devait être vierge de toute végétation lors de son affectation militaire, est redevenu un bois.
Etant originaire du Brabant wallon, Emile Legros sait cependant qu’un fort a existé en ces lieux mais il n’a guère conscience de l’étendue de cette construction enterrée.
Il est vrai que pratiquement plus rien n’est visible ; le site est devenu un bois comme les autres. Pourtant, il revient à Monsieur Legros, qu’à l’occasion, des spéléologues fréquentent toujours le site. Il se renseigne, obtient les coordonnées de l’un d’entre-eux et le contacte. Il s’avère qu’un arbre, dont les racines plongeaient dans un puits de coupole, a été déraciné lors d’un orage, libérant un discret passage.
Monsieur Legros se prend au jeu et n’étant plus en mesure à son âge (il a déjà plus de quatre-vingt ans) de se glisser dans un trou de spéléologue, il décide de faire dégager le débouché d’infanterie. C’est l’accès le plus proche de celui des spéléologues et sa localisation a été estimée sur base des plans du fort. L’estimation va s’avérer correcte et le sortie d’infanterie progressivement dégagée. On sait déjà que bien que de la terre se soit écoulée dans le massif central par tous les puits de coupole ou d’observatoire laissés béants par le ferraillage des installations, quelques locaux dont la grande salle de rassemblement de l’infanterie ne sont guère encombrés de terre.
Une Amicale de la région s’intéresse à ces travaux et quelques trop rares bénévoles commencent à s’impliquer dans la réhabilitation des lieux.
La machine s’emballe quelque peu vu l’approche de l’année 2014 qui va voir le centenaire des combats d’août 1914. Sur ses fonds propres, louant des engins de terrassement, M. Legros décide de dégager la rampe d’accès et de rouvrir le fort au public les 2, 3 et 4 août 2014, pile au centième anniversaire du début de la guerre 14-18. Cette manifestation sera un succès, honorée par la présence du gouverneur militaire de la province, de mandataires politiques locaux, de porte-drapeaux et de représentants d’associations patriotiques. Le fort aura aussi reçu la visite de quelques équipes de télévision et de journalistes de la presse écrite.
Malheureusement, la réouverture au public est ternie par une rupture brutale avec l’Amicale précitée. Quelques volontaires restent cependant au côté de Monsieur Legros qui ne baisse pas les bras.
Le dégagement de la rampe d’accès, en 2014, a aussi permis d’accéder aux locaux de la contrescarpe de droite qui sont progressivement vidés des terres et déblais qui s’y étaient infiltrés.
Un des bénévoles se lance ensuite seul dans la réhabilitation du corps de garde de guerre (dont l’accès se fait par le porche d’entrée) et le résultat final peut se voir en 2016, à l’exception de quelques finitions et de l’éclairage.
Le dégagement progressif de la courtine, à partir de juillet 2015, laisse entrevoir la possibilité d’avoir accès tant aux locaux de la contrescarpe de gauche qu’à tous les locaux de l’escarpe et dès 2016, la contrescarpe de gauche est effectivement ouverte aux visiteurs. Par contre, les locaux de l’escarpe doivent encore être sécurisés et dotés de luminaires.
Administrativement, les choses ont également évolué. Le propriétaire, M. Emile Legros a créé une fondation pour pérenniser le caractère historique et naturel du site. Cependant, l’investissement financier nécessaire atteint les limites de ce que peut faire un simple particulier !
A défaut d’aides extérieures, la fondation sera peut-être contrainte de réduire ses ambitions.
Face à cette dure réalité, on ne peut qu’estimer que, plutôt que de se gaver de mots creux, tels que « Plus jamais ça ! », en évoquant les affres des deux Guerres Mondiales, le pays aurait dû être plus attentif à la sauvegarde de son patrimoine militaire !
Toute aide serait bienvenue d’autant plus que la défense de la Position Militaire de Namur fut bien plus honorable, surtout en 1914, que ce que beaucoup ne pensent !
Ce sera l’objet d’un futur article.
NB : Le présent texte a été rédigé en octobre 2016 par Monsieur Michel André afin d’actualiser les premiers textes, insérés sur le site, qui étaient dus à Monsieur André LESSIRE.
La Fondation remercie chaleureusement MM. André LESSIRE et Michel ANDRE pour cette collaboration.
3. Buts
Suivant ses moyens, tant financiers qu’humains, la Fondation se fixe différents objectifs tels le dégagement des accès et ouvertures, la réalisation de réparations respectueuses de l’architecture militaire, l’assainissement des locaux déjà dégagés et accessibles, la sécurisation des circuits de visite et l’embellissement général des lieux.
4. Projets
Poursuite du déblaiement du tambour: partie à l’arrière du porche d’entrée, qui donnera accès au quadrilatère mais pas de visite avant un bon moment car nous devons nettoyer, trier, sécuriser les lieux – passages et les visites sont interdites pour l’instant!
- Reconstruction du baraquement à l’identique suivant d’éventuelles contraintes urbanistiques.
- Aménagement d’un musée et d’une cafétéria.
- Installation de l’électricité.
5. Les bénévoles du Fort de Saint-Héribert:
Au nom de tous les membres de la Fondation privée « Emile Legros », je tiens à remercier tous les bénévoles qui nous aident au Fort.
Nous pensons aux bénévoles qui viennent plus souvent mais aussi à nos précieux guides, aux participants aux « journées de travail », aux historiens, aux travailleurs dans l’ombre ou d’un jour…
Merci à vous tous. C’est tous ensemble que nous y arriverons.
Françoise Legros.