Un dramatique accident à Wépion, dans la nuit du 9 au 10 septembre 1939.
Hommage à la Famille Gesnot
Le 10 septembre 1939, la Famille Gesnot est frappée par un grand malheur.
André Lessire nous raconte l’histoire.
Un dramatique incident à Wépion, dans la nuit du 9 au 10 septembre 1939.
Septembre 1939.
Suite à l’annexion de la Pologne par le Reich, la Belgique procède dès le 3 à la mobilisation générale.
Outre la garnison en place, le fort de Saint-Héribert voit son effectif renforcé de mobilisés. Il en sera de même des régiments d’infanterie occupant les abris, postes d’observation et de garde situés dans les intervalles. Une certaine phobie des espions règne à l’époque.
Au Ry-de-Flandre, la famille Gesnot habite la maison située à l’entrée du chemin militaire menant au fort de Saint-Héribert, à proximité du petit étang donnant naissance au ruisseau de la Marlagne.
Afin de venir en aide à sa maman veuve depuis peu, une des filles de la maison, Lucienne âgée de 18 ans, est « en service » chez le colonel Decour à Wépion. Monsieur et madame Decour y résident avec leur fils Philippe âgé de sept ans, à l’actuel numéro 918 de la chaussée de Dinant, face à la Meuse et aux rochers de Néviau. Elle y est à résidence, dispose d’une chambre et, possédant en toute confiance une clef de la porte arrière de la villa, peut aller et venir à sa guise. Elle ne rentre cependant que de temps à autre dans sa famille.
« C’était une jeune fille intègre, discrète, courageuse et ordonnée, remplissant son service d’une manière exemplaire, une seconde maman pour moi en quelque sorte, … et très jolie de surcroît » se souvient aujourd’hui encore monsieur Philippe Decour.
Rentré il y a peu d’Allemagne, le colonel Jules Decour, alors âgé de quarante-six ans, rempli à Namur les fonctions de chef d’Etat-Major de la 2e Division de Chasseurs Ardennais, une des composantes du VIIe Corps d’Armée occupant la Position Fortifiée de Namur. Malgré ses hautes fonctions, un laisser-passer lui est indispensable pour regagner son domicile situé hors du périmètre formé d’éléments Cointet, bien qu’il ne soit qu’à quelques pas de la brèche 37 située sur la rive gauche de la Meuse.
Le samedi 9, alors que la soirée est déjà bien avancée, deux hommes ont été repérés circulant à proximité de la ferme du château, la vigilance des militaires est donc accrue et les consignes dûment rappelées à tous.
Le même jour, en début de soirée, Madame Decour a autorisé la jeune Lucienne à faire un aller-retour à vélo jusqu’à chez elle afin de prendre un peu de linges et effets personnels. Heureuse de partager quelques moments avec sa famille, la jeune fille quittera son domicile peu après 1 heure du matin.
La famille Decour est allée se coucher, persuadée du retour de la jeune Lucienne. Ce n’est que lorsque les gendarmes viennent les réveiller au petit matin qu’ils se rendent compte qu’il n’en est rien.
Il apparaît que, malgré l’heure tardive, la jeune fille soit descendue par le Suary au lieu d’emprunter la route de Saint-Gérard et gagner ainsi la Meuse par la rue Dachet. C’est ainsi que, se hâtant quelque peu, elle roule dans la vallée, longeant la ligne de barrières Cointet derrière laquelle se situe la ferme du château.
Il fait quasi nuit noire, ce sera nouvelle lune dans quelques jours, et de surcroît, les premières brumes de l’automne tout proche envahissent déjà les fonds humides. La visibilité est donc assez médiocre.
Une patrouille ayant aperçu un cycliste, une des sentinelles d’un poste de garde tout proche fait les sommations d’usage, « Halte ! Halte ! Halte ou je tire ! » La personne interpelée, la jeune Lucienne en l’occurrence, n’obtempérant pas, un coup de feu claque dans la nuit alors que le cycliste est à proximité du poste. Il est 1 heure 20. Lorsqu’ils s’approchent, les soldats doivent bien se rendre à l’évidence, ils viennent d’abattre une jeune fille qui n’avait commis qu’une erreur, celle de se trouver au mauvais moment au mauvais endroit. Touchée en pleine poitrine, la malheureuse décédera dans les minutes qui suivront.
L’auditorat militaire et la gendarmerie de Namur descendent sur les lieux. Il ressort de l’enquête qu’aucune faute ne peut être attribuée aux soldats, ceux-ci n’ayant fait qu’appliquer des consignes maintes fois répétées. L’auteur du coup de feu quant à lui, très marqué par les faits, est mis en congé sur le champ ; une source proche de la famille nous apprendra que plus tard, fortement perturbé par son acte, le malheureux soldat aurait été interné dans un établissement psychiatrique de la région.
Une seule question hantera toujours les familles Gesnot et Decour : Pourquoi Lucienne a-t-elle cette nuit-là emprunté cet itinéraire que rien n’explique ?
La question reste posée, et Lucienne en a emporté la réponse dans la tombe.
Une famille durement touchée par le sort.
Des huit membres de la famille Gesnot, cinq disparaîtront dans des circonstances peu paisibles.
Joseph Gesnot, ouvrier aux carrières d’Arbre, perdra la vie en 1936 dans un accident de la route, percuté par une voiture alors qu’il se rendait à son travail à vélo. Lucienne sera tuée dans les circonstances que l’on sait. Nora qui avait épousé un colonial exploitant une briqueterie en Afrique, périra lors du naufrage d’un bateau sur le lac Kivu, le lac heureusement, rendit sa dépouille quelques jours plus tard. Michel sera également victime d’un accident de la route en 1971, il n’avait que 39 ans. Germaine Gesnot-Flinsback perdra quelque peu la raison après tant de malheur et décédera d’une chute dans l’escalier de sa demeure en 1972. Tous reposent au cimetière de Wépion.
Texte rédigé par André Lessire le 24 juillet 2016 pour la Fondation privée « Emile Legros ».
Voici également l’article de presse de l’époque concernant ce drame: