Fort triangulaire, construit suivant les plans du Général Henri-Alexis Brialmont en 1891
1. Caractéristiques communes des forts « Brialmont »
Les forts des Positions Fortifiées de Liège et de Namur répondent à la conception « polygonale » de la fortification défendue par Henri-Alexis Brialmont (1821-1903).
Ces deux positions sont constituées d’une ceinture de forts isolés, éloignés de quelques kilomètres du centre urbain afin de soustraire ce dernier et sa population aux bombardements. Les forts sont équidistants entre eux, en moyenne de quatre à cinq kilomètres, afin de leur permettre de s’épauler mutuellement en cas d’attaque.
Ces forts ne sont pas conçus pour combattre isolément, ce qui leur sera pourtant imposé. Ils ont une architecture assez standardisée qui se traduit par la forme généralement triangulaire de leur fossé périphérique et le regroupement dans un massif central, de forme relativement réduite, de l’artillerie principale. La forme triangulaire (la base du triangle étant orientée vers la ville) et le glacis de terre, qui protège la structure semi-enterrée des forts, offrent une certaine protection contre les bombardements venant de l’extérieur du périmètre défendu.
Modernes lors de leur construction, ces forts sont construits en béton non armé. Les bétonnages ont été calculés pour résister aux obus d’un calibre de 21 cm. Ce calibre avait été pris en considération car à la fin du XIXe siècle, il correspondait au plus puissant calibre dont la pièce était encore compatible avec le transport hippomobile. La modernité des forts « Brialmont » réside aussi en partie dans le fait que toute leur artillerie est sous cuirassement.
Le point faible de la conception est le regroupement des locaux de vie et de service dans le fossé de gorge moins protégé, surtout d’une attaque venant de l’intérieur du périmètre défendu. Or celui-ci est de l’ordre de 50 km à Liège et de 40 km à Namur.
Ce développement dépasse quelque peu les moyens de l’armée belge. L’effectif initialement affecté à la défense de ces positions n’est que de 15.000 hommes, ce qui est largement insuffisant pour défendre honorablement les intervalles entre les forts. Le Roi Albert Ier décidera cependant de conserver sur place les Divisions d’Armée qui y sont mobilisées, la 3e DA à Liège et la 4e DA à Namur, ce qui portera l’effectif de la défense de chacune de ces deux positions fortifiées à près de 40.000 hommes.
2. Description du fort de Saint-Héribert en 1914
Le fort de Saint-Héribert est implanté à 245 mètres d’altitude (c’est le plus élevé de Namur), à 6.400 mètres du centre de la ville et s’étend en majeure partie sur le territoire de Wépion alors que le coffre de tête est sur Bois-de-Villers et que la route militaire (le chemin d’accès actuel entre la route et le bois) est sur Floreffe.
Les plans reproduits ci-après permettent une bonne compréhension de l’organisation du fort.
Extérieurement, le fort se distingue peu de la campagne environnante. Le fort est délimité par un fossé triangulaire de près de 300 mètres de côté. Ce fossé présente une largeur d’environ 10 mètres et une profondeur d’environ 6 mètres.
La base de ce triangle fait face à la ville. Il est appelé le fossé de gorge et accueille, dans ses flancs, les locaux de vie et de service. Seule la façade extérieure de ces locaux est apparente car tout le reste est enfoui sous terre. Le seul accès du fort est situé au milieu de ce fossé de gorge où il s’élargit pour former une courtine.
Le bâtiment d’entrée, placé dans la contrescarpe, présente une façade extérieure limitée à une quinzaine de mètres de large. Une rampe pavée d’une cinquantaine de mètres de long relie le porche d’entrée à la route d’accès. Le plan de Saint-Héribert apparaît très symétrique.
Les locaux de vie et de service bénéficiaient de la lumière du jour par de grandes fenêtres ouvrant dans le fossé de gorge. Ces ouvertures étaient obstruées, en cas de siège, par des barrages de poutrelles métalliques, renforcés par l’entassement de sacs de sable ou de terre.
La seule construction qui s’élève légèrement (environ un mètre) au-dessus du sol, pratiquement au centre du triangle délimité par les fossés, est appelé le massif central. Ce réduit central, d’une bonne cinquantaine de mètres de diamètre, abrite cinq coupoles cuirassées, orientables sur 360°, qui regroupent l’artillerie à action lointaine.
De part et d’autre de l’axe allant du coffre de tête à la courtine du fossé de gorge, on rencontre successivement deux coupoles monotubes armées d’un obusier de 21 cm, puis en position centrale, une coupole pour deux canons de 15 cm et ensuite deux coupoles bitubes pour canons de 12 cm. Toutes ces pièces tirent encore à poudre noire des munitions non-encartouchées (obus + gargousses de toile contenant la charge propulsive) et par conséquent leur cadence de tir est assez faible. La portée maximale de l’obusier de 21 cm est de 6,9 km avec ses deux types d’obus d’environ 91 kg, celle des canons de 15 cm atteint 8,5 km (obus en fonte de 31,6 kg) et les tubes de 12 cm portent à 8 km (avec un projectile de 18,450 kg). Chaque pièce dispose en théorie d’une dotation d’au moins 500 obus. Enfin, au centre du massif, il y a également un phare cuirassé rétractable.
En périphérie du massif central, quatre petites coupoles à éclipse sont chargées de la protection rapprochée. Chacune de ces coupoles abrite un canon Nordenfeld à tir rapide de 5,7 cm ayant une portée maximale de 3.250 mètres. Le tir rapide de ces pièces est rendu possible par l’utilisation de munitions encartouchées.
Les fossés sont défendus depuis le coffre de tête ou la courtine par des canons Nordenfeld de 5,7 cm, sur affût chandelier, tirant principalement des boîtes à balles. La rampe d’accès est également défendue par un de ces canons.
Le massif central est relié aux locaux de l’escarpe (côté intérieur du fossé) par un couloir souterrain appelé le couloir en capitale. Ce couloir se prolonge au-delà du massif central pour donner accès aux deux coupoles implantées en avant de celui-ci ainsi qu’au coffre de tête situé à la pointe du triangle délimité par les fossés. Entre l’escarpe et le massif central, le couloir en capitale donne également accès aux deux poudrières contenant les gargousses de poudre noire utilisées pour le tir des pièces à action lointaine. La « poudre noire » étant plus sensible au feu et à la chaleur que la « poudre sans fumée », le stockage dans un seul local de telles quantités de poudre (certains évoquent le chiffre de douze tonnes par poudrière) était imprudent et l’explosion du fort de Loncin, le 15 août 1914, en est la preuve.
Merci à Jean-Marie Brams pour la réalisation de ces plans, destinés à la Fondation privée « Emile Legros ».
3. Modifications allemandes et réarmement des années trente
Extérieurement, dès 1916. les Allemands vont se contenter de recouvrir la sortie d’infanterie. Les autres modifications, pas visibles de l’extérieur, sont évoquées dans l’historique.
L’armement principal se limite à une coupole bitube de 75 mm GP (Grande Puissance). Il est à noter que, par convention, il fut décidé vers 1930 d’exprimer dorénavant le calibre des pièces d’artillerie en millimètres. La cadence de tir de ce tube moderne, tirant des munitions encartouchées, permet théoriquement de justifier la réduction de l’armement principal. La défense rapprochée est confiée à des obusiers de 75 mm (portant à 5 km contre 11 km pour le 75 GP), des mitrailleuses Maxim en 7,65 Mauser (dont certaines dans les anciennes coupoles de tubes de 12 cm), voire des fusils-mitrailleurs, également en 7,65 Mauser. Les puits des coupoles n’ayant pas été agrandis, leur cuirassement sera sensiblement identique à celui de 1914 et va dès lors se montrer vulnérable au tir tendu de l’artillerie allemande. Les coupoles pour obusier de 21 cm de 1914 sont enlevées et leurs puits sont comblés.
Contrairement à certains forts réarmés, le fort de Saint-Héribert ne reçoit pas de tour d’air mais un système de prises d’air encore aujourd’hui peu documenté.
Le plan du quadrilatère inférieur n’est pas présenté ici car ces galeries ne peuvent pas être ouvertes à la visite.
Les forts réarmés sont aptes à résister aux bombes d’aviation de 500 kilos ainsi qu’au bombardement indirect de la pièce de 220 mm allemande, plus important calibre alors disponible dans la Wehrmacht. En effet, en vertu du Traité de Versailles de 1919, les plus lourdes pièces d’artillerie, tels que les obusiers de 42 cm et 30,5 cm employés par l’Allemagne en 14, ont été détruites.
4. La fortification est tellement crainte qu’elle est contournée!
A la notable exception du fort d’Eben-Emael, les Allemands avaient décidé, en mai 1940, de contourner les principales fortifications belges et françaises, rappelant ainsi à nos états-majors endormis une autre fonction de la fortification permanente : celle d’imposer à l’adversaire un autre itinéraire plutôt que de lui barrer la route !
En 1914, par leur résistance et surtout par certaines actions annexes liées à celle-ci, les Positions Fortifiées de Liège et de Namur ont contribué à l’échec du plan Schlieffen.
En 1940, par leur seule existence, la fortification permanente a incité le IIIe Reich a adopté un plan d’opération encore plus audacieux, passé à la postérité sous le nom de plan Manstein, qui entraîna, pour la Belgique, la France et la Grande-Bretagne, une des plus grandes défaites militaires de tous les temps.
L’importance des Positions Fortifiées de Liège et de Namur, dans l’entame des deux Guerres Mondiales, demande que les générations actuelles et futures leur accordent plus d’égards !